Jeanne

Une pierre

Je me réveille en sursaut. Je me lève brusquement. Les cris de Tallia résonnent dans la forêt. J'essaye de les localiser, mais soudain, ils s'éteignent. Je m'habille en vitesse. Je sors précipitamment. Il fait nuit noire, il doit être minuit...Je cours en direction de bruits de mouvements, de bruissement de feuillage... Je saisis une pierre, au cas où un animal agresserait Tallia. Je la vois, enfin. Elle est étendue par terre. Ses yeux sont clos, mais elle tremble. Il y a une flaque de sang, au niveau de sa jambe droite. Et là, je vois le monstre, une bouteille de vin à chaque main, fracasser son poing, sa ceinture, ou une bouteille sur ma soeur. Je le regarde enchainer une multitude de coups en quelques secondes. Trop de coups par secondes. Je réalise, et me jette sur lui avant qu'il ne la tue. Il tombe. Il se relève et cherche ma gorge, que je prends soin de ne pas exposer à sa main tueuse. Je lui assène à nouveau un coup dans l'entrejambe, et il s'affale à genoux, lâchant ses bouteilles. Soudain, il sort un pistolet, et le tends vers moi. Je lâche ma pierre, et lève les mains.

- TOI ! Tu m'as causé bien assez de soucis !

Il se retourne brusquement. Je me décale pour voir ce qu'il se passe. Je vois Will, mains en l'air. J'entends le déclic du pistolet, et je sens l'odeur putride d'alcool. Je ne sais pas combien de bouteilles a-t-il bu, ni combien de temps lui a-t-il fallu pour trouver Tallia. Mais il n'est pas conscient, et c'est le plus dangereux, sachant qu'il est déjà très violent quand il est sobre. Je ne sais pas, finalement. Est-il conscient ? Je ne sais pas. La même lueur haineuse se retrouve dans son regard. Je regarde furtivement Tallia. Elle est mal en point. Soudain, j'entends la détonation. Je hurle.

- Non !

Les larmes coulent. Je les sens, une avalanche de larmes chaudes dévalant mes joues. Je vois Will tomber en arrière. Il tombe sur le dos.

Alors qu'il oriente son pistolet sur la tête de Tallia, je me jette sur lui. Il me fait tomber. J'essaye de me relever, dans une vaine tentative, mais il plaque ma tête au sol. Il m'immobilise en m'étranglant. Je crois que la strangulation, c'est son truc.

Je me débats. J'agite les bras, dans une vaine tentative. J'étouffe. Dans une dernière tentative, les poumons serrés par les sanglots et le manque d'air, je saisis une bouteille. Je l'abat sur son crâne.Il retire ses mains de mon cou, et s'affale histoire de quelques secondes sur le sol, se tenant le tête. Je me relève précipitamment, reprenant ma respiration à grandes goulées bruyantes. Je saisis le pistolet. Je le prends à deux mains et le pointe vers lui, toussant et pleurant. Compliqué de se remettre d'une strangulation.

- Ne me force pas à faire ça...ais-je supplié.

Je prends une grande inspiration, et essaye de paraître calme.

- Je n'ai pas peur, dit-il.

- Tu devrais.

- Tu ne tireras pas. 

- Je n'hésiterais pas.

- Hmm...C'est ça, oui.

Il s'approche, et j'ai à peine le temps de réaliser qu'il pointe le pistolet sur Tallia, qui essayait de s'enfuir. Il tire, et, les yeux et oreilles floutés, j'entends une vague détonation, et je vois ma soeur tomber à genoux, avant de tomber entièrement. Je saisis une grosse pierre, et l'abat sur son crâne. Je le regarde tomber. Une flaque de sang s'agrandit au niveau de sa tête. J'ai soudainement du mal à respirer. Je prends de grandes bouffées, mais ça ne passe pas. Mon souffle s'accélère. Je panique. La pierre tombe au sol, et je continue de regarder mon géniteur. Ses yeux vitreux me regardent. Ils me reprochent d'avoir retiré la vie d'un humain. Je réfléchis. Dois-je aller voir Tallia, ou Will ? Je finis par courir vers Tallia. Elle est inconsciente, mais elle respire. Je la porte jusqu'à la maison des Kip. Je sonne à répétition. 

- S'il vous plaît ! Ouvrez-moi...ais-je imploré.

C'est finalement Madame Kip qui m'ouvre.

- Jeanne ! Mais que... C'est toi qui a fait ça ?

- Non ! Bien sûr que non ! Aidez-moi, s'il vous plaît...Implorais-je.

- Bien sûr, je... Mets-la sur la table. J'appelle les secours.

- Non ! S'il vous plaît, non.... 

- Je ne peux pas la soigner autrement, Jeanne ! 

- Vous ne comprenez pas...ais-je éclaté, les larmes dévalant mes joues.

- Jimmy ! Réveille ton père !

J'entends ce dernier courir à l'étage.

J'entends Madame Kip passer le coup de fil aux urgences.

Je m'effondre sur une chaise, et serre la main de Tallia.

- Sors de là, Jeanne, me dit le père de Jimmy. Je vais faire une petite intervention pour améliorer ses chances de survie.

- D'accord.

Je n'arrive pas à me lever. Monsieur Kip me prend par l'épaule, et me lève, d'un regard compatissant.

- Jimmy...ordonne-t-il.

Jimmy me prend l'épaule. C'est là que je me reprends. Je me dégage brutalement, et sort. J'ai besoin d'y retourner. Je claque la porte, et me rue vers la forêt. Je cours. 

Je le vois. Je le vois, lui et sa blessure par balle au niveau de la poitrine. Je ferme ses yeux, sanglotant très fort. Je le déplace, et l'adosse à un arbre. Je lui met les mains entrelacées sur ses cuisse. Il a l'air de réfléchir. Je m'assoit en face de lui. Je le regarde. Je prends sa main, froide. Je la lâche brutalement. C'est trop bizarre. Je m'effondre rapidement.

- Excuse-moi... dis-je dans une longue plainte. Je t'aime ! Ne pars pas ! Ne pars paaaas ! 

Je lâche une longue plainte, presque animale. Un cri long et douloureux suit.

- Will...Will...répétais-je, les joues inondées de larmes.

J'aimerais le prendre dans mes bras, qu'il se réveille, que son parfum ravisse mes narines... Mais il est parti...J'ai du mal à réaliser. Il ne peut pas être parti ! Il est trop...trop...jeune ! Il allait avoir dix-huit ans... 

Je pleure à n'en plus finir. Je maudis mon géniteur, et je me souviens de tous les moments passés avec Will. Notre bataille d'eau, ses sublimes cadeaux pour mon anniversaire, son don pour la cuisine, sa fraternité...Tous les souvenirs m'envahissent. Il ne peut pas être parti. Je ne peux pas y croire. Je n'avais absolument jamais envisagé qu'il meure avant moi. Bien sûr, des fois je pleurais dans mes draps, quand j'étais petite...J'avais peur de la mort...Mais je n'aurais jamais pensé qu'elle serait aussi proche de moi. Que j'allais tuer quelqu'un.

Je me retourne vers mon géniteur. Il est ignoble. Une auréole de sang se dessine au sol.

Je commence à regretter. J'aurais pu juste tirer dans sa jambe...

"Pour qu'il te tue plus tard, de toute façon ?"

J'aurais pu sauver Will ! Il m'aurait suffi d'être plus réactive. C'est de ma faute si ils sont morts ...

" Pfffff...Arrête ton beau discours. Un homme instable, et ivre, combiné à la violence ? Que croyais-tu ? Il voulait tuer quelqu'un. C'aurait pu être toi ! C'aurait pu être Tallia ! Mais c'est Will. Will n'a pas été assez réactif. Il n'a pas bougé. Mais toi... Toi tu as sauvé ta soeur. Tu aurais préféré qu'elle meure ?"

Je fais taire la voix qui porte le nom de Conscience.