- Jeanne !
Je grogne et sors ma tête qui était profondément enfouie dans l'oreiller.
- Oui ?
- Les nouveaux voisins nous invitent à manger chez eux ce soir !
Je me fige. Bien sûr, il fallait que ça arrive... Je réfléchis, passant en revue les possibilités de fuite de la situation. J'opte pour la plus prisée.
- Papaaa...
J'y ai mis tout mon talent de comédienne.
- Oui ?
- J'ai super mal à la tête, et je ne me sens absolument pas bien...
- Bon, prépares-toi, je t'emmènes chez le médecin. Dépêches-toi, s'il te plaît.
Et meeeeeeerde...
Je me prépare, dans un look de malade. Jogging, sweat, tongs. Rien qu'à ça, les médecins devraient comprendre que je suis si malaaaade...
Je mets un peu de maquillage, pour être pâle. Je me fabrique des cernes. Je suis horrible.
Parfait.
On roule une demi-heure, je crois. Quand on arrive, je m'exerce, une petite boule au ventre à l'idée de duper un médecin. J'espère de tout coeur que ça va marcher.
- Bonjour !
- Bonjour...Dis-je avec un sourire faible.
On s'assied, je mets tout mon coeur dans mon cinéma. C'est un vieil homme, qui m'examine en vitesse. J'écoute son diagnostic avec stupeur.
- Votre fille est une de ces pourries gâtées qui font du cinéma pour rester au lit toute la journée. Elle n'est absolument pas malade, et elle s'est même maquillée pour l'occasion. Sur ce, ça vous fera cinquante-cinq euros.
Mon père serre les dents. Je suis morte.
On roule une demi-heure en silence, au retour.
Il ouvre la porte, et me pousse à l'intérieur de la maison.
Il laisse sa valisette en cuir tomber à terre. Le son est menaçant, et l'ambiance est lourde. Je ne peux pas lui expliquer, il ne comprendrais pas. Je ne peux pas lui dire "Ah, au fait, je ne veux pas venir, parce que le fils des voisins a déchiré le pacte qui nous unissait, Will, Tallia et moi, contre toi. Dans la cabane secrète dans laquelle nous nous retrouvons chaque année quand on ne se sent pas bien à cause de toi. Je suis obligée de venir ?"
Je reste paralysée, au milieu du salon. Père s'assoit à table, et il se prend la tête entre les mains.
Soudain, il pousse un cri de fureur énorme. La table valse, et je me décale de justesse pour ne pas la recevoir. Je cours dans les escaliers, il me poursuit. "Viens là !" crie-t-il. Je pousse un cri de terreur. Je tremble de tout mon corps. Je sens une avalanche de larmes de terreur sur mes joues. Je cours m'enfermer dans les toilettes. Il tambourine à la porte. Je m'assois, et pleure de tout mon corps. Il se calme. Il part. J'entends Will essayer de calmer Père. Ils sont dans la chambre de père. Je sors silencieusement et cours m'enfermer dans ma chambre. Je me change. Je cours vers la cabane. Il n'est pas là. Je m'assois et me balance, d'avant en arrière. Je sais que je vais devoir retourner chez moi, un jour où l'autre. Plus je fuis, plus sa colère monte. Je le sais. Mais je ne me sens plus capable de quoi que ce soit. Mes larmes ne cessent de couler. J'essaye d'inspirer, et d'expirer. Je vais chercher des fruits et des plantes que je connais dans les arbres. Je cueille des fruits. Je n'ai pas mangé, et la faim se fait ressentir. Je rince ma pomme. Je vais m'asseoir à table. J'entends des pas. Je me lève, persuadée que c'est Jimmy. Tallia rentre dans la cabane.
- Je savais que tu serais l...
Elle s'arrête brusquement. Ses yeux sont fixés sur le pacte, juste à côté de moi.
- Jeanne... Comment tu as pu...
- Ce n'est pas moi.
- Ouais, comme ce n'est pas toi qui a menti à père. Tu sais pourtant qu'il devient furieux quand on lui ment !
Elle s'assoit. Je lui offre ma pomme.
- Je l'ai lavée.
- Racontes-moi tout.
Je lui raconte ma mauvaise rencontre avec Jimmy.
- Et c'est qui, ce Jimmy ?
- Le fils du voisin.
- Oh... Oh. Et c'est pour ça que...
- Que je me suis prétendue malade. Et que la moitié du pot de pâte à tartiner neuf est à moitié vide.
- J'appelle Will.
- Non. Il doit être en train de calmer Père.
Elle bouge tristement la tête de gauche à droite.
- Ca n'a pas marché. Père lui a balancé une chaise, et il est remonté dans sa chambre, furieux. Il m'a disputée parce que tu as menti. A Père.
- Père ne t'as rien fait, à toi ?
- Il m'a balancé un verre. C'est tout.
- C'est tout ?! Tu n'es pas blessée ?
- J'ai quelques coupures dans le bras, c'est tout.
- Tallia ! Quelques coupures, ce n'est pas "tout", l'ais-je grondée. Montre-moi ça !
Elle avait quelques coupures. Mais elle doit avoir des morceaux de verre fichés dans le bras, puisque la peau aux alentours est très sensible.
- Si tu vas chercher Will, prends le kit de premier secours avec toi.
- OK.
Je l'attends avec impatience. Elle met plusieurs minutes à revenir. Et quand elle revient, elle ne revient pas avec la personne attendue. Jimmy la tient fermement par le bras.
- Aïe !
- Bonjour, Jeanne ! Voici Tallia, je suppose. Je peux savoir pourquoi vous êtes là ? Ce n'étais pas la peine de venir me voir comme ça ! On se voit ce soir, de toute façon !
- Lâche-la. Maintenant, ou je t'arrache les yeux et les ongles.
La peau nue du bras de Tallia est rouge autour de l'emprise de Jim. Il resserre son emprise. Tallia le mord. Il la gifle. C'en est trop. Il n'est pas le super méchant qui détient ma soeur en otage. Il ne va pas s'enfuir avec elle et attendre que j'arrive pour me la rendre en échange de ma vie, comme si j'étais SuperJeanne. Je me jette sur lui, et le frappe du pied droit. Il tombe au sol, en se tenant la mâchoire. Les cours de taekwondo du collège servent, finalement.
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Jeanne
AdventureC'est l'anniversaire de Jeanne aujourd'hui. Elle doit faire comme si tout allait bien. Mais, arrivée la nuit, elle fait un rêve, un rêve qui va lui rappeler des souvenirs.