La musique change en morceau beaucoup plus rythmé. Alcoolisés, les clients commencent à danser. Rachelle contemple la scène à part avec Charlie.
CHARLIE
Eh bien, on a eu chaud.
RACHELLE
On a toujours chaud. La terre se réchauffe, c'est indéniable.
CHARLIE
Je parlais pour eux. Ils mourront en paix.
RACHELLE
J'imagine oui.
CHARLIE
Quelque chose ne va pas ?
RACHELLE
Je ne sais pas. Silence. Regarde les. Ils boivent à en vomir, ils sautent dans tous les sens, ils baisent dans les vestiaires. Ils n'arrêtent pas de rire, ils n'arrêtent pas de parler, ils n'arrêtent pas... Et cette musique, cette musique presque assez forte pour faire s'effondrer le bâtiment. Tu parles d'une paix.
CHARLIE
Allons Rachelle, ça fait dix ans que c'est comme ça. Le chaos, tu aimais ça avant.
RACHELLE
Le chaos, c'est vrai. Mais le faux, la simulation. Le chaos d'un soir et le lendemain, on rangeait tout. Demain, cette fois, on ne rangera rien. Silence. C'est la fin Charlie. C'est pas Halloween, c'est pas la marche des fiertés, c'est la fin.
CHARLIE
Soit. Et ?
RACHELLE
Et je ne comprend pas. Je ne comprend pas ce qu'ils font là, je ne comprend pas pourquoi. Ils ont de la famille, des gens qu'ils aiment, qui les aiment, qui sont certainement en train de pleurer ou prier, mais eux ont préférés se traîner dans les bas-fonds d'une boite à la mode. Il y aurait tant d'autres choses à faire, des choses bien plus importantes. Dire aux gens à quel point ils comptent, regarder une dernière fois le ciel, finir d'une seule traite ce roman, ce poème, cette musique qu'on avait seulement commencé à écrire... Il y a tant à faire mais ils sont là, à s'entasser entre les murs d'une boite qu'ils connaissent par cœur, avec des inconnus et ce vacarme incessant.
CHARLIE
Et toi dans tout ça ? Tu es quand même là.
RACHELLE
Mais moi, je n'ai pas leur âge, je n'ai pas leur esprit ni leur vie. Moi, qu'importe si je meurt, j'ai déjà tout bouclé. Les gens qui comptent le savent, je n'ai jamais commencé de poème et le ciel, j'ai passé des heures à le regarder. Moi je n'ai rien d'autre à faire.
CHARLIE
Peut-être qu'eux non plus.
RACHELLE
Je n'y crois pas une seconde. C'est une volonté. C'est de leur plein gré. Ils ont vingt ans et ils vont mourir ; à leur place, je deviendrais folle. Complètement folle. Silence. Je ne demande pas une hystérie collective. Seulement de la rage, de la tristesse, un lourd sentiment d'injustice général. Car c'est la vérité. Mais eux, ils dansent. Ils vont mourir et ils dansent. Ce n'est pas normal.
CHARLIE
Peut-être que les jeunes sont bien plus à l'aise avec l'idée de la fin que tu ne le crois.
RACHELLE
Ils sont jeunes et vont mourir. C'est tout ce à quoi je crois.
CHARLIE
Moi aussi, je suis jeune et je vais mourir.
RACHELLE désolée
Oui, c'est vrai, pardon. Je suis un peu sur les nerfs.
CHARLIE
Je pense que c'est assez compréhensible.
RACHELLE après un silence hésitant.
Et comment tu vas ?
CHARLIE
Je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie. J'avais besoin d'une dernière heure pour accomplir certaines choses je crois.
RACHELLE
C'est dommage d'avoir attendu.
CHARLIE
Vaut mieux tard que jamais.
RACHELLE
Et du coup ? Qu'est-ce que tu as prévu ?
CHARLIE
De te demander une dernière heure de congé.
RACHELLE
Accordé.
CHARLIE
Et d'être une fille.
RACHELLE
D'accord. Je te laisse juste garder un œil ici pour éviter les accidents, je vais devoir aller faire un tour en haut, dans le Salon.
CHARLIE surpris, elle la retient par le bras
Ca veut dire que je suis une fille ? Vraiment ?
RACHELLE haussant les épaules
C'est ce que tu es, non ?
Charlie reste silencieuse, toujours étonnée. Rachelle sort.
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Apocalyptique
Historia Corta[théâtre] La fin du monde est prévue pour vingt heures. Tout le monde le sait. Il fait déjà nuit, l'air est incroyablement chaud et le ciel est rouge. A Paris, le cœur d'une boite de nuit underground bat à la chamade, dégueulant ses décibels. La fin...