Le mal du Paradis

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[Reiner x Berthold]

909 mots

***


Je suis de retour. Je marche sur ces pavés que tu as foulés, je respire cet air que tu inspirais timidement, je longe ces murs que tu as si souvent frôlés. Pourtant, ton absence suffit à rendre ces lieux inconnus. On dirait que la ville est morte depuis que tu n'es plus là. Elle ne semble plus respirer de la même manière, ni même s'animer comme elle le faisait autrefois.

Je passe par les chemins que l'on prenait pour aller jouer au coin de la rue, loin des regards dérangés. Notre existence était indésirable, Berthold, et pourtant je désire tant ta présence. Face à cette rue qui a observé nos jeux et nos éclats de rire, je peux revoir quelques éclats de nos vies. Je nous regarde, enfants, jouer avec un ballon contre le mur de cette vieille maison. Nos étoiles jaunes juraient avec les habits sombres que l'on portait, comme pour les mettre en valeur. Ces fichues étoiles.

J'étais loin d'être le plus fort, mais ça, tu le savais mieux que personne.

Nous nous sommes tant entraînés pour devenir des guerriers. J'essayais d'être à la hauteur, mais j'étais toujours à la traîne. Tu n'as jamais douté de moi, contrairement aux autres. Tu étais là quand je souhaitais abandonner, quand ça devenait trop dur, insupportable. Les gens ont tendance à croire que sans moi tu n'étais rien ; mais c'était bien le contraire : sans toi, je n'étais rien. Juste un démon comme un autre. Juste un gamin qui voulait rendre sa mère fière.

J'arrive sur ces terrains, ceux qui ont recueilli nos chutes et nos courses. Je te revois encore porter tout cet attirail de guerre avec des yeux rêveurs. Mais tu ne songeais pas à la guerre, tu songeais à la suivre. Il est vrai qu'elle était excellente, Annie. C'était probablement la plus forte de nous tous. Je comprends ton admiration sans faille, et la jalouse même un peu.

Je suis de retour, seul avec mes démons. J'ai tant de sang sur les mains, que je me demande si elles ont toujours eu cette couleur. Je peux apercevoir nos deux silhouettes maigrichonnes courir à travers le camp. Annie était la première. Elle était toujours la première. Je souris tristement à cette vue. Nous n'étions tous que des gamins. Il y avait Marcel, aussi. Il n'avait jamais rien fait de mal, pourtant c'est grâce à lui que je marche dans les traces du passé. Tu m'as toujours rassuré quand son frère, Porco, me rabaissait. À ses yeux, et encore maintenant, je ne suis qu'un soldat inutile et incapable. Quand j'ai été choisi pour le cuirassé, il m'a d'autant plus haï.

Il était plus fort que moi, mais ça, tu le savais mieux que personne.

Nous en avons fait, un bout de chemin, tous les deux. Toutes ces années à la 104e brigade d'entraînement, t'en souviens-tu ? C'était marrant, là-bas. Tu te souviens du premier jour, quand Sasha a proposé une patate au sergent ? Je me suis demandé ce qu'on foutait là. Dès lors, je me suis perdu. Je n'étais plus un guerrier, mais un soldat. Je ne me rappelais plus cette sensation de pierres qui tombent sur mon dos, ni de tous ces cris, ces hurlements, ce sang. J'avais oublié Revelio, l'empire Mahr et ma mère qui attendait que je lui ramène la gloire à genoux devant elle. J'avais oublié Sieg, Marcel et notre mission.

Je souhaitais juste être un soldat ordinaire, mais ça, tu le savais mieux que personne.

Parfois, je t'en voulais de me ramener dans ce monde cruel, dans ce monde où nous n'étions que des traîtres. Puis, je me suis souvenu de cette sensation de pierres qui tombent sur mon dos, de tous ces cris, ces hurlements, ce sang. Je me suis souvenu de Revelio, de l'empire Mahr et de ma mère qui attendait que je lui ramène la gloire à genoux devant elle. Je me suis souvenu de Sieg, de Marcel et de notre mission. Tu as tué le soldat en moi pour faire renaître le guerrier.

Je suis revenu dans cette ville qui nous a vu grandir, Berthold. Est-ce qu'elle te manque ? Ces rues, ces passants méprisants, ces jeux avant le couvre-feu. Je suis rentré à la maison, et je n'attends plus que toi. Néanmoins, je sais que tu ne rentreras jamais.

Je repense au fait qu'ils t'aient probablement dévoré, et ce songe m'asphyxie. Je t'imagine, hurlant à l'agonie, alors qu'un de nos camarades te mange. Je t'imagine, priant pour que ça s'arrête, alors qu'il referme sa mâchoire sur toi. Je t'imagine, mort, alors qu'il se transforme en toi sans l'être vraiment. Je me demande à qui tu as pensé lors de ton dernier souffle, à Annie ? Ou à ton meilleur ami ? Égoïstement, je souhaite que tu aies pensé à moi. Mon cœur se serre dans ma poitrine.

Je suis de retour dans ces ruelles que tu ne verras plus jamais. Je suis de retour dans ce camp que tu ne visiteras plus. Je suis de retour dans ce pays qui t'a sacrifié. Sans toi, j'ai l'impression que ce pays n'est plus le mien. J'ai le mal du Paradis, ce paradis où nous avons tant ris, tant partagé.

Sans ta présence, Berthold, j'erre dans ces rues comme un fantôme. Je reste témoin de toutes les scènes de notre enfance, ici, sans jamais pouvoir en redevenir l'acteur.

Je suis de retour dans ce monde dans lequel tu ne vis plus. 

L'abîme 「Recueil Shingeki no Kyojin」Où les histoires vivent. Découvrez maintenant