Automne XX59, doux octobre
« Je veux être poète ! »
Ces mots-là, ils m'avaient déchirés les cordes vocales au moins cent fois, sur les routes qui m'avaient mené à la capitale, mais cette fois, c'était mon cœur et tout mon corps aussi qui hurlaient, parce que j'étais enfin à Paris, et que la ville était si belle que j'aurais fait l'amour à chacun de ses réverbères en chantant.
Je me souviens qu'il pleuvait dru, et que les yeux des gens me raclaient des pieds jusqu'au visage, comme s'ils avaient jamais vu un beau garçon sans chemise, coiffé de la robe d'un oiseau et le corps peint comme les Peaux-Rouges d'Amérique. Sans doute qu'ils jouaient jamais au jeu des cowboys dans le coin, c'est ce que je m'étais dit, mais ça avait pas d'importance, car pour la première fois ce que je voyais dans les regards, c'était pas de la haine ou du dégoût, tout juste de l'épouvante teintée de stupéfaction.
J'étais sens dessus dessous ce soir-là, si bien que les trombes qui me cinglaient la nuque elles me parurent être chaudes comme celles des tropiques et de leurs nuits diluées dans les étés indiens. Et c'est vrai que du coup, je devais pas avoir l'air très commode en arrivant au café, avec mes mèches brunes trempées qui puaient et collaient, ainsi que mes souliers troués qui avaient pas tenu la route.
Cependant, ce qu'on s'en foutait, le phénomène c'était pas moi, c'était eux, parce que j'avais fait le voyage pour me fondre dans le désordre absurde d'une grande ville, mais la seule chose que les clients ont fait quand j'ai annoncé vouloir être poète, c'est de me dévisager avec un drôle d'air ; il y en avait même qui évitaient de me regarder, comme si leur attitude gênée me ferait disparaître ou quoi.
Puis une serveuse, forte comme quatre bûcherons, qui faisait vraiment tâche parmi toutes les folles et les intellectuels, est venue exaucer leur vœu douteux. Elle m'a saisi par la nuque en me conseillant de dégager (sans doute que c'était pas un conseil d'ailleurs parce qu'elle m'a accompagné jusqu'à la sortie en serrant mon cou bien fort). Juste avant d'être jeté dehors, là où la buée se pressait pas aux vitres, je me retournai tout de même pour présenter mes salutations bien sincères.
« Bande de cons ! »
Je crois que c'est ce que j'ai crié. Il y en a un qui a bondi de sa chaise avec la ferme attention de me corriger, et je me préparais mentalement à une humiliation certaine, mais ses partenaires l'ont retenu contre son gré en me qualifiant de simple enfant qu'il pouvait pas frapper.
Je partais alors en riant m'asseoir en bord de route, où j'aurais pu perdre mes pieds, ces compagnons de voyage sans qui je pouvais pas avancer. Je les aurais laissés crever, tout gémissants qu'ils étaient, car pour la première fois depuis longtemps j'allais nulle part. C'était la chute de mon odyssée.
Et je riais seul comme un con sur le trottoir cloqué, à m'en serrer le ventre et les côtes et tout le reste, enfin surtout le cœur, parce que c'était vraiment dur de se dire que ce qu'on racontait sur le café de Flore, c'était juste une légende, et que l'esprit de Rimbaud il était mort avec lui comme celui de n'importe quel Homme.
Un peu plus tard, l'averse s'est arrêtée. Je commençais à avoir franchement froid et j'ai sorti la lettre de ma poche. C'était elle qui me motivait, tant qu'elle était avec moi, que je sois perdu importait pas.
C'était une boussole de l'âme qui montrait pas le nord (il a toujours été favorisé sans raison de toute façon celui-ci, je veux dire, le sud est bien plus beau). C'était une carte vers l'unique endroit qui comptait réellement et que trop peu de personnes cherchaient. Alors moi je la relisais et la relisais encore en tremblant, malgré le fait que je sois incapable de sentir le bout de mes doigts.
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Philosopher Kings
RomansaParis, année XX59. À l'étage d'un café parisien, deux garçons se rencontrent. Chacun porte, plus ou moins cachées, les blessures d'un conflit génocidaire auquel il n'a jamais pris part, et qui pourtant les oppose. Ensemble, ils se donneront une ch...