20. Le calme avant la tempête

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Maukdale, Illinois


« C'est super, Jane ! Tu t'es vraiment améliorée en mathématiques, ça me fait très plaisir. Tiens, ta copie corrigée. Tu referas le problème sur lequel tu t'es trompée. Et n'oublie pas de terminer ta rédaction.
— C'est grâce à Will, il m'a beaucoup aidé. Merci. C'est déjà fait, je n'ai plus qu'à la relire et la mettre au propre.
— C'est bien que tu puisses compter sur l'aide de ta famille, sourit Miss Charlton. Je suis désolée de ne pas pouvoir attendre leur retour avec toi. Je ne peux tout de même pas louper mon premier anniversaire de mariage, mon mari me tuerait. On se voit demain matin. Passe une bonne soirée !
— Ce n'est pas grave. Je suis assez grande pour rester toute seule, vous savez. Amusez-vous bien, surtout !

Eleven la raccompagna. Elle se retrouva alors seule dans la maison qui était sienne. Joyce rentrait toujours aux alentours de 20 h. Will devait attendre que Jonathan termine son travail au journal du lycée pour rentrer. Il préférait patienter et faire ses devoirs calmement à la bibliothèque plutôt que de prendre le bus scolaire avec les énergumènes du bahut, comme il les appelait, aussi courte la route était-elle. Ils ne tarderaient pas à rentrer, mais Eleven ne pouvait s'empêcher d'étouffer. Elle était souvent prise de panique quand elle se retrouvait livrée à elle-même. Elle avait comme une impression d'abandon. Et s'ils ne revenaient jamais ? S'ils se rendaient compte qu'elle n'était qu'un aimant à malheurs ? Que sans elle, ils se porteraient mieux ? Toutes ses sombres pensées lui traversaient l'esprit dès qu'aucun d'entre eux n'était proche d'elle.

Elle respira un bon coup et décida d'appeler chez Max. Son premier réflexe était celui d'entendre la voix de Mike lui disant que tout allait bien, mais elle se l'interdisait catégoriquement. Lui, plus que les autres, était mieux sans elle. Son cœur se déchirait part petit bout, et bientôt, il ne lui resterait plus rien. Elle avait fait le bon choix, se disait-elle quotidiennement. Comme Will l'avait si bien dit, sur le ton de la plaisanterie, certes, mais le fond y restait ; Mike serait prêt à se jeter dans les flammes pour elle. Il fallait qu'il l'oublie. Tout était pourtant terminé, la paix était revenue, mais Eleven avait ce pressentiment qu'un événement ne tarderait plus à pointer le bout de son nez. Et étrangement, elle le pensait bon. Oui, ce pressentiment, qui la dévorait intérieurement, était bon. Elle se sentait complète rien que d'y penser. Comme si des choses qu'elle attendait impatiemment, quelles qu'elles soient, allaient se produire.

Elle s'assit confortablement sur son couvre-lit blanc à l'imprimé fleuri et s'apprêta à composer le numéro des Hargrove, mais s'abstint à temps. El se rappela que le lundi soir, le beau-père de Max rentrait plus tôt du travail, et qu'elles ne pouvaient pas s'appeler, car cela l'agaçait d'entendre sa belle-fille pialler.

Déçue, Eleven sortit paresseusement de sa chambre et alla à la cuisine. Elle regarda le menu sur le petit tableau accroché au-dessus du grille-pain, où Joyce écrivait les repas de la semaine en avance, ce qui permettait d'être moins stressé et plus organisé, et d'éviter de manger des macaronis aux fromages en boîte tous les jours. C'était une autre brillante idée de Will. On pouvait dire qu'il avait besoin d'une vie rangée.

« Riz avec légumes et steaks sauce au poivre. » récita Eleven.

Elle se dit qu'elle pouvait se débrouiller. Ce serait cela de moins à faire pour Joyce. Elle sortit des carottes et des courgettes du bac à légumes dans le bas du frigidaire, sur lequel le dessin de Will, représentant Bob Newby en super-héros, était toujours accroché. Elle mit l'eau a chauffer pour le riz, prit un oignon, et se hâta à tout éplucher et découper. Elle ne s'en sortait pas mal. Joyce la taquinait souvent, lui disant qu'elle était bonne à marier, ce qui lui faisait toujours manquer un battement de cœur. L'idée lui plaisait autant qu'elle la tétanisait sur place, à tel point que la première fois que Joyce lui fit la remarque, elle faillit se couper un doigt. Elle avait peut-être son Gilbert, mais Eleven était loin d'être fleur bleue et irréaliste. Ou encore, idéaliste, telle Anne des Pignons verts.

Repenser à ce livre, qu'Hopper lui avait lu, lui fit monter une boule dans la gorge, venue du plus profond de son être. Elle se mordit la lèvre inférieure pour ne pas pleurer.

« On est rentrés !, tonna la voix de Jonathan.
— Ça ne sent pas le brûler, maman ne doit pas encore être rentrée » remarqua Will en reniflant bruyamment la bonne odeur émanant de la cuisine.

Eleven rigola à cette remarque, ce qui lui permit de se ressaisir. Will et Jonathan la rejoignirent dans la cuisine.

« Salut. Comment s'est passé votre journée ?
— Super ! J'ai préparé un article sur l'équipe de basket du lycée. C'est hallucinant qu'un si petit bahut ait une équipe pareille ! Je suis sûr que Jeffrey Scott fera partie de la NBA d'ici quelques années. Des recruteurs viennent jusqu'ici pour le voir jouer, tu te rends compte ? J'ai de quoi faire un bon article, c'est génial pour mon dossier pour la fac ! » s'exclama avec cœur Jonathan.

Eleven l'écouta attentivement en souriant. Elle aimerait être passionnée tel que lui. Il paraissait si fort et si sûr de lui, qu'elle l'avait pris en exemple. Il donnait l'impression de toujours tout maîtriser. Quand il avait pris les choses en main lorsqu'elle avait une infime partie de la carcasse répugnante du Flagelleur dans la jambe, elle sue qu'elle pourrait compter sur lui. Personne d'autre n'aurait été capable de le faire. Dès lors, Jonathan eut toute sa confiance.

« Et toi, Will ? Ne te gave pas de cookies, tu ne seras plus rien manger !
— Tu manges bien des gaufres peu importe le moment de la journée, répondit Will la bouche pleine.
— Ce n'est pas vrai !
— Tu parles. Souviens-toi lundi dernier, quand je t'ai surprise à t'en gaver à 23 h.
— C'est vrai, avoua rageusement Eleven. Mais, au moins, c'était après le dîner. Le dîner toujours avant le dessert ! »

Elle arracha le paquet de cookies des mains de Will. Il se dit que si elle avait encore ses pouvoirs, il la provoquerait moins souvent.

« Toi et tes gaufres, ricana-t-il. Sinon, ma journée, bah, bof. Normale, rien à dire. Je ne suis pas mort frigorifié, ce qui rassura au moins maman. »

Il haussa les épaules. Le lycée n'était pas terrible pour lui, mais il n'avait pas à se plaindre. Personne ne l'embêtait, au contraire, il s'était vite fait une bande de camarades. C'était juste que ces gens lui paraissaient bien fade à côté de la Party. Néanmoins, ils étaient gentils et aidaient à passer le temps.

« On t'aide ? proposa Jonathan.
— Avec plaisir. Je vous laisse vous occuper des steaks et de la sauce, accepta Eleven.
— Au fait, El, comment ça s'est passé en maths ? » interrogea Will.

Eleven raconta sa journée aux garçons. Will lui promit qu'ils termineraient leurs devoirs ensemble après le repas, et Jonathan relierait sa rédaction avec elle et l'aiderait à la corriger.

Le repas à peine servit, Joyce franchit le seuil de la porte. Qu'elle ne fut pas sa joie de voir sa petite famille déjà attablée. Elle s'installa avec ses enfants et raconta à son tour sa journée. Les discussions allaient de bon train quand elles furent interrompues par quelqu'un qui sonna activement à la porte.

« Vous attendez une visite ? » questionna Joyce de son air confus.

Les trois enfants hochèrent négativement de la tête. Joyce se leva et alla ouvrir.

» J'espère que ce n'est pas le vieux Edmond qui galère encore avec sa télé. Cette fois, c'est à ton tour d'y aller » souffla Will à son frère.

Eleven pouffa en voyant l'expression blasée des deux jeunes hommes. Will lui lança des miettes de pain pour la faire déchanter. Eleven voulut riposter, mais son geste fut interrompu par la voix de Joyce qui s'éleva dans le corridor.

« Mais qu'est-ce vous fichez ici ?! Et qui est-ce ?! »

STRANGER THINGS 4 : Le Monde Renversé (abandonnée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant