La nuit d'un noir d'encre était parsemée d'étoiles dont la lueur paraissait bien timide au travers de la pollution lumineuse de Gotham. Le Joker s'était arrêté au creux d'une ruelle délabrée pour les contempler quelques instants, le temps de reprendre son souffle. Il avait couru de longues, très longues minutes, voire peut-être même une heure – il avait quelque peu perdu la notion du temps – parcourant la ville de long en large, se cachant de ruelles sombres en ruelles sombres. Il n'avait pas fait une seule pause depuis qu'il s'était évadé de l'asile d'Arkham un peu plus tôt dans la nuit.
Comme quoi, s'échapper de l'asile d'aliénés n'avait pas été bien compliqué.
Le Joker avait d'abord pris quelques mois de vacances, tranquillement coupé du reste du monde dans sa cellule d'isolement dans laquelle il avait dû rester confiné les premiers temps après son arrestation. Puis, au bout d'un temps, il avait fini par être transféré plus au cœur de l'asile, dans l'aile abritant les autres détenus qualifiés de "difficiles". Dans ce nouvel environnement, depuis sa petite cellule, il en avait profité pour glaner quelques nouvelles du monde extérieur – d'abord en collant l'oreille contre la porte, moins bien isolée que celle de la cellule d'isolement, ce qui lui avait permis d'entendre des bribes de conversations entre les professionnels qui passaient par là de temps à autres ; et puis dans un second temps grâce aux merveilleux repas qu'il avait eu droit de prendre en collectivité, lui permettant de pousser un peu plus la conversation.
Ce droit-ci lui avait été octroyé après qu'il ait montré une attitude plus que favorable. Oh certes, au départ il s'était quelque peu moqué des membres du personnel qui souhaitaient le "prendre en charge", avait proféré quelques menaces de torture ou de mort douloureuse... Il aurait peut-être pu continuer à s'amuser à tourmenter ainsi les quelques autres êtres humain assez fous pour être mis en contact avec lui, mais... il avait dû s'abstenir. Et pourquoi ça, hm ? Et bien encore et toujours, il s'agissait de la même cause à toutes ses joies et toutes ses peines : Batman, évidemment. Car un beau jour, tandis qu'il écoutait à la porte de sa cellule, il avait attrapé un bout de conversation entre deux membres du personnel qui, passant dans le couloir, discutaient de la disparition du chevalier noir. Disparition ! La curiosité du Joker avait été piquée à vif. Il avait ab-so-lu-ment fallu qu'il en sache plus.
Alors, il s'était décidé à jouer les prisonniers modèles. Pas d'attaques ni de menaces sur les membres du personnel. Pas de plaintes contre la qualité médiocre des repas qui lui étaient jetés à travers la fente de sa porte, ni contre l'odeur d'égout putride qui sortait de ses toilettes de fortune. Il avait même accepté de voir la psy, une jolie petite blondinette un peu naïve, et avait docilement répondu à ses stupides questions. Oh bien sûr il avait répondu à sa façon, inventant des histoires farfelues et des mensonges convaincants pour épater la galerie... Mais en tout cas il ne s'était plus révélé hostile. Par conséquent, au bout de quelques mois d'attitude exemplaire, on l'avait récompensé en lui ouvrant la porte sur le petit bout de monde extérieur existant dans cet asile : les foutus timbrés qui peuplaient ses murs.
Cela avait été plus réjouissant que l'on pourrait le penser à première vue. Car ça avait été là l'occasion pour le Joker, lors des deux demi-heures de repas collectif par jour, d'interroger ses chers camarades de détention sur Batman. Certains avaient même accès au journal, quel luxe ! Il était donc parti en quête d'informations. Oh ça n'avait pas toujours été une mince affaire : certains idiots lui avaient parfois raconté n'importe quoi, et il avait vite compris qu'il lui faudrait pouvoir lire par lui-même les journaux pour savoir ce qui y était véritablement relaté. Certains de ses petits camarades avaient quelques tendances pernicieuses et il avait dû marchander pour obtenir ce qu'il voulait : son dessert contre un article découpé, son papier toilette contre un autre...
Au final, le temps n'avait rien changé à l'affaire : apparemment Batman avait bel et bien disparu de la circulation. Après avoir endossé le meurtre du petit proc' Harvey Dent, l'homme chauve-souris n'avait plus montré le bout de son nez. Ni fait entendre le bruissement de ses ailes. Juste... rien. Rien du tout.
Le Joker s'était agacé de ce comportement puérile. Le petit Batou avait encore une fois joué le preux chevalier en endossant ce meurtre pour épargner la ville de scélérats ; et puis il s'était terré dans sa tanière tel un petit martyr incompris. Et il y restait. Presque comme si rien ne s'était passé, comme s'il n'avait jamais existé. Comme s'il ne pouvait plus rien se passer d'assez important pour l'obliger à sortir de nouveau... Le clown avait pris ça comme une insulte à sa personne. L'autre était-il assez fou pour croire que le fait qu'il soit bouclé à Arkham avait réduit sa dangerosité et son génie criminel ? C'était presque comme si Batman croyait vraiment ne plus jamais avoir à patrouiller dans la crainte d'une nouvelle catastrophe.
Et bien soit.
Le Joker avait pris cela comme un défi personnel, bien décidé à sortir de son trou et à obliger cette chère chauve-souris à faire de même.
Oh ça n'avait pas été bien compliqué au final. Il s'était simplement armé de patience, de relations avec certains de ses camarades ayant eux-mêmes quelques contacts, d'un peu de corruption ; ajoutez à cela une pincée de poudre et quelques étincelles... Et bam ! Toute la partie ouest de l'asile avait sauté dans un joli feu d'artifice.
Une fois sorti au milieu des décombres et de ses comparses hurlant de joie et de démence, il avait décidé de rester quelque peu au cœur du spectacle, espérant apercevoir ne serait-ce que l'ombre de la chauve-souris. Mais, là aussi, rien. Rien ne s'était produit.
...Rien à part quelques membres du personnel poignardés, déchiquetés, quelques détenus plus ou moins matraqués et quelques policiers un peu trop aventureux laissés au sol dans des flaques de sang. Rien d'inhabituel donc. Et rien d'aussi exaltant que l'arrivée de Batman...
Déçu de s'être ainsi fait poser un lapin par son némésis, le Joker s'était décidé à finalement quitter les lieux. Enfin, la balle qui lui avait traversé le bras l'avait hâté dans sa décision, pour sûr. Il ne s'était donc pas plus attardé à Arkham, se disant que si Batman n'avait pas répondu à sa petite invitation à venir le voir ce coup-ci, et bien c'était tant pis. Le Bat' voulait du spectacle, du grandiose ? Il n'y avait que l'apocalypse qui le déciderait à sortir le bout de son nez ? Pas de problème.
Notre clown se ferait une joie de la lui servir sur un grand plateau doré.
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Et voilà, ce premier chapitre introduit le contexte de cette histoire. Lors du prochain, on découvrira quelques détails de l'évasion du Joker, et puis l'improbable rencontre avec le deuxième petit personnage principal de cette fiction.
A bientôt pour la suite !
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L'ange et le Joker
FanfictionEn quête d'une nouvelle planque suite à son évasion de l'asile d'Arkham, le Joker va rencontrer une jeune enfant dans un contexte des plus insolites... - Joker version Ledger / post The Dark Knight -