Chapitre 3 - Arya

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Je tente de concentrer mon attention sur notre enseignant, mais je n'y arrive pas. Mon regard est porté de lui-même vers Tess, de l'autre côté de la classe. J'ai la gorge sèche et un étrange pincement me serre la poitrine depuis que je l'ai vue entrer. J'ai envie d'aller lui parler, mais j'en suis incapable. Non pas seulement parce que je dérangerais toute la classe pendant ce premier cours, mais surtout parce que je suis toujours sous le choc. Je n'avais jamais envisagé cette situation, c'est-à-dire celle de mêler le virtuel au réel. Pas aussi tôt du moins.

Je la regarde, un sentiment de culpabilité dans les tripes. Ça me donne la nausée. J'ai envie de la prendre dans mes bras et de m'excuser encore et encore pour tout le tort que je lui ai causé, pour toute la douleur que je lui ai infligée. Je n'ai jamais voulu lui faire du mal.

Elle est si belle, assise là, si loin de moi. Ses longs cheveux blonds forment de jolies vagues dans le dos de sa veste en jeans. Sous celle-ci, elle porte une petite robe d'été rose pâle, ce qui accentue son doux teint pêche. À son poignet, je reconnais les multiples bracelets colorés qu'elles portaient souvent sur les photos qu'elle m'envoyait. Ces photos...

Je ferme les yeux une seconde, tentant de chasser ces images de ma tête. Je ne peux pas me permettre de retomber. Plus maintenant que je suis avec Théo.

J'aime mon copain, certes, mais maintenant que Tess se trouve devant moi, je ne peux m'empêcher de penser qu'il a été le point de départ de la descente aux enfers de ma relation particulière avec elle. Nous avons dû tout arrêter, alors qu'aucune de nous deux n'avait réellement envie de laisser tomber. Puis notre relation s'est dégradée, jusqu'à ne plus en être une du tout, nos sentiments négatifs prenant le dessus sur tous nos souvenirs et affinités. Et voilà plusieurs jours que je n'ai pas parlé à Tess. Et qu'elle ne m'a pas parlé non plus. Comme si nous nous étions perdues l'une l'autre. Mais apparemment, le destin en a décidé autrement.

Après une heure seulement de classe, M. Leroy nous donne congé tout en nous indiquant les livres à acheter pour la semaine prochaine. Je me lève, comme le reste de la classe, puis ramasse mon sac traînant sur le sol. Je l'enfile sur mes épaules, puis cherche du regard ma chère amie. Elle est déjà partie. J'attrape mon téléphone dans ma poche arrière et entre directement dans ma conversation avec Tess.

« S'il te plaît, attends-moi dehors »

À ce message j'ajoute un petit cœur, espérant que cela la retienne et l'incite à me voir.

Aussitôt le message envoyé, un petit « vu » apparaît sous celui-ci. Tout en continuant de fixer mon écran, je sors du local et reprends le chemin inverse de tout à l'heure. Je fais attention de ne foncer dans personne alors que j'attends avec impatience un signe de la part de Tess. Quelques secondes plus tard, la petite bulle se montre.

« Okay »

Yes! Je range mon téléphone dans ma poche et fonce vers la sortie. Je bouscule maladroitement quelques personnes sur mon chemin et je tente de m'excuser rapidement, mais la vérité, c'est que je n'en ai rien à faire. Tout ce qui occupe mon esprit en ce moment, c'est Tess.

J'arrive enfin devant les grandes portes principales. J'en pousse une, puis une autre, et me retrouve dehors, sous un soleil plombant de début septembre. Je regarde autour de moi et vois l'objet de mes pensées quelques mètres plus loin, sur le côté du bâtiment. Je me dirige vers elle et sans lui dire quoi que ce soit, j'attrape sa main pour la mener à ma suite. Je contourne quelques arbustes servant de décoration à l'entrée principale et longe le mur de pierres de l'établissement. À l'abri des regards, je ralentis, puis me stoppe, ma main toujours dans celle de Tess. Je me retourne vers elle, elle me regarde, perdue entre ce qu'elle voudrait faire et ce qu'elle devrait faire. Elle lâche ma main. Je la laisse s'en défaire. Puis, elle prend place devant moi, le dos contre le mur froid. Je m'approche d'elle, mon regard plongé dans le sien. Sans un mot, nous nous partageons un millier de choses. Tout ce poids des dernières semaines semble se matérialiser, ces paroles non dîtes, ces messages ignorés.

Je m'approche encore de Tess, ses yeux m'en donnant la permission.

— Arya...

— Tess...

Quelques secondes s'écoulent sans qu'aucune de nous deux ne parlent. Mon corps à seulement cinq ou six centimètres du sien, j'ai une envie folle de la prendre dans mes bras. À la place, je caresse sa joue de ma main.

— Tess, je suis si désolée... dis-je presque dans un murmure. Mais... j'aime réellement Théo...

— Je sais, prononce-t-elle doucement alors qu'une larme glisse de sa paupière.

Je l'essuie rapidement de mon pouce.

— Ne pleure pas, s'il te plaît, lui suppliais-je, moi-même au bord des larmes. Tu sais que je t'aime aussi.

— Ne dis pas ça, dit-elle en dégageant son visage de ma main.

— Mais c'est vrai, tentais-je de la convaincre.

— C'est bien ça le pire, réplique-t-elle.

Puis, elle ramasse son sac laissé tomber à ses pieds et essuie ses joues du revers de sa main. Sans même croiser mon regard, elle part, me laissant là, seule face à ce mur de pierres, le cœur gros. J'ai envie de me laisser tomber à genoux, de m'étendre sur le sol, de ne plus bouger. À la place, je reste là, debout face à ce mur semblant me défier d'y enfoncer mon poing. Je ne bouge pas.

Je hais cette situation. Je hais voir Tess souffrir, de nouveau à cause de moi. Je hais ressentir ça pour elle alors que Théo compte maintenant tant pour moi. Bordel, je me hais.

J'attrape mon sac que je passe en bandoulière et ravale mes larmes. J'ai besoin d'évacuer, mais pas ici. D'un pas rapide, je prends la direction de mon appartement. Sans même me rendre compte de mon parcours, je suis déjà arrivée dans ma chambre. Je laisse tomber mon sac, mes clés, mes chaussures, puis m'affale à plat ventre sur mon lit. Pendant de longues minutes, je ne bouge pas. Je pourrais mourir asphyxiée, la tête dans l'oreiller, et je n'en aurais rien à foutre. Je me sens si mal.

Dans ma poche arrière, mon téléphone vibre plusieurs fois. Je réussis à réunir assez de force pour l'atteindre et lever ma tête pour le regarder. C'est un appel de Théo. Je fixe l'écran jusqu'à ce qu'il s'éteigne de lui-même. Je n'ai pas envie de répondre. Une fois redevenu inerte, je dépose mon téléphone près de mon visage et serre mon oreiller dans mes bras. La boule dans mon estomac ne disparaît pas, ni ce poids sur ma poitrine. Le nom de Tess résonne en boucle dans ma tête et je ne peux rien y faire. J'ai envie de pleurer, mais les larmes ne viennent pas. Je ferme les yeux. Les heures passent.

Je me réveille, perdue. Je regarde autour de moi : je suis toujours dans ma chambre, lumière allumée. Dehors, la nuit est tombée. Je prends mon portable pour vérifier l'heure, mais mon attention se porte plutôt sur les deux notifications figurant sur mon écran. La première m'indique que j'ai raté un autre appel de la part Théo. La seconde est un message de Tess. Je m'empresse d'appuyer sur cette dernière. La conversation s'ouvre devant mes yeux. Sous mon message d'un peu plus tôt dans la journée, un lien YouTube, comme Tess avait l'habitude de m'en envoyer avant. Elle adore s'exprimer à travers les chansons qu'elle écoute, plus particulièrement quand les mots sont trop difficiles à mettre en ordre autrement ou que seule une chanson permet la transmission adéquate des sentiments partagés. J'appuie sur le lien en attrapant de mon autre main les écouteurs jonchés sur ma table de nuit. Le son est toujours meilleur avec des écouteurs.

Identité [GxG]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant