Chapitre 8 - Tess

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Le soleil achève l'évaporation de la rosée dans la pelouse près du trottoir. Sous les rayons de plus en plus chauds, le scintillement des brins d'herbe s'évanouit lentement. Attendant le passage piéton, je lève les yeux au ciel : aucun nuage, aucun avion, qu'un ciel complètement bleu comme ceux de début d'été.

Une dame accompagnée de son petit chien, un beagle âgé au visage tout blanc, s'arrête à mes côtés. Par réflexe, ou par passion pour les animaux, je me penche pour caresser l'ainé sur pattes qui s'enquit déjà d'effectuer une inspection olfactive auprès de ma cheville. Je le laisse renifler ma main quelques secondes, puis glisse celle-ci dans son cou. Je souris alors qu'il ferme les yeux sous mes caresses. Malgré nous, nous devons nous séparer moins d'une minute plus tard, alors que le feu tourne au rouge et que le signal nous est donné pour traverser l'intersection. Je dis mentalement adieu à mon ami canin et souris à la dame qui part dans la direction opposée avec son fidèle compagnon. Je me sens plus légère.

Je marche en portant attention à ce qui m'entoure, comme si c'était la première fois que je découvrais l'extérieur. Les feuilles des arbres qui dans moins d'un mois se teinteront de couleurs flamboyantes, les cyclistes qui troqueront bientôt leur vélo pour une carte de bus, ces étudiants qui comme moi profitent de leurs dernières vingt quelques heures de weekend. J'ai envie de pleurer, j'ai envie de rire, j'ai envie de courir. Je m'en vais retrouver Arya.

Comme pour m'assurer, pour la centième fois, que c'est bien réel, je sors mon téléphone de la poche arrière de mon short et ouvre notre conversation. Le petit cœur à la fin de son message envoie un léger champ électrique dans ma poitrine. Les choses vont s'arranger, pas vrai ?

J'entre dans le parc situé à côté des terrains de l'université. Des bancs, des fleurs, des arbres partout. Je repère le grand chêne où elle m'a dit de la retrouver, tout au fond, juste avant le petit ruisseau. Je m'approche, j'aperçois enfin Arya. Elle est belle, magnifique, je ne peux m'empêcher de sourire face à sa beauté. Ses cheveux foncés coupés au carré encadrent son visage rond et rappelle, bien que je ne puisse les voir à cette distance, la couleur de ses yeux. Elle porte un joli chemisier bleu poudre noué par les extrémités à la limite de son short noir. À son poignet, des bracelets semblables aux miens, à sa narine, son inoubliable anneau doré, comme celui que j'avais. Elle lève les yeux, me voit à son tour. Un large sourire illumine tout son être, et le mien. Je n'ai plus à m'inquiéter maintenant. Ma mère avait raison.

Les pas se referment entre nous alors que j'approche de plus en plus. Dans mes paumes, je sens mon cœur battre, la puissance des coups rythmant tout mon corps. Son sourire me convainc et je ne prends même pas le temps de la saluer. Je fonds ma bouche sur la sienne.

Sans même un mouvement de recul ou de surprise, elle glisse l'une de ses mains sur ma nuque et tient fermement ma taille de l'autre. Les miennes, de chaque côté de sa tête, s'assurent de la profondeur et de la durée de ce baiser, de ce premier baiser.

Mille sensations me parcourent, je n'ai point le temps ni la capacité de les savourer toutes à la fois. Je me sens scintiller, comme cette pelouse mouillée sous la lumière solaire. J'ai cessé de respirer, et je m'en fous. Elle est mon oxygène et elle est tout ce dont j'ai besoin pour le moment.

Doucement, nous nous écrasons dans la verdure à l'ombre du grand chêne, à l'abri des regards, à l'abri de tout et de rien du tout. Elle m'annonce sa rupture entre deux baisers, je feins une sympathie, elle me réprimande d'une main appuyée au bon endroit. Je la dévisage, mais l'accélération de ma respiration lui donne raison. Elle me sourit, malicieuse, enjouée, avant de se laisser tomber à mes côtés. Je reprends mon souffle pour la première fois depuis mon arrivée et soupire. Une larme coule jusqu'à mon oreille. Je ne l'essuie pas, je souris, elle chatouille. Arya prend ma main dans la sienne, je tourne mon visage vers le sien.

— Enfin ? demandais-je.

— Enfin, répond-elle.

Le bruit de la vie emplit l'espace autour de nous pendant plusieurs minutes. Je me dis que je ne me suis jamais sentie aussi bien. Puis, Arya se tourne sur le côté, face à moi, son visage tout près du mien. Une moue plus triste a pris place devant moi.

— Encore une fois Tess, je m'excuse de t'avoir rejetée comme ça. Je n'ai pas su réagir et... Je t'ai presque perdue. Quand je réalise que j'aurais pu te perdre...

— Hey, dis-je doucement en passant ma main contre sa joue. Nous sommes là maintenant, ensemble, et j'accepte tes excuses. Je ne peux pas t'en vouloir, j'étais aussi perdue que toi. J'ai eu peur, c'est tout, et toi aussi.

Elle acquiesce, puis sourit en plaçant sa main sur mon poignet.

— Je t'aime, tu sais.

Un cocon se referme autour de nous, un cocon parcouru d'étincelles et de flocons de neige.

— Je t'aime aussi.

J'appuie cet aveu d'un baiser lent, long et en surface. Sa main parcourt les vagues calmes de mes cheveux, la mienne traverse le rivage ceinturé de son chemisier. Je n'ai pas envie de m'en aller, je n'ai plus envie de quitter ce bonheur maintenant qu'il est mien. C'est peut-être, et même très certainement égoïste, mais je n'en ressens aucune forme de culpabilité. J'aime et pour la première fois, je suis aimée.

***

Couchée dans mon lit, mes lèvres toujours enflées de mes interminables baisers avec Arya, je relis une énième fois le poème écrit en quelques minutes à mon retour chez moi. Les mots étaient venus tous seuls, sans que je ne puisse contrôler leur organisation ou leur portée. Je n'étais qu'un intermédiaire, une machine entre mes sentiments et le papier.

Sur le forum ayant déclenché toute cette histoire, je recopie chacun des vers, souriant à l'image de celle qu'ils décrivent. Je relis et appuie sur « publier ». Le poème apparaît automatiquement sur la page des nouveautés une seconde plus tard.


Un corps de pêche, une peau de nuage

Des cheveux de soie entre mes doigts

Une lèvre délicate, érotique, tentante

Une bouche au goût des années de manque

Des yeux de glaciers volcaniques

Sous une couche de topaze brute

Je me prélasse dans le rayon de sa chaleur

Un regard perdu dans la tonalité de sa voix

Enfin avec moi dans cet espace ouvert et découvert

Dans ma main la sienne et un petit bonheur du cœur

Identité [GxG]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant