Chapitre 6 - Tess

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Une semaine est passée depuis le dernier message d'Arya.

« Laisse-moi un peu de temps »

Un peu de temps. Qu'est-ce que ça veut dire ? Un peu de temps pour faire quoi ? Pour me briser davantage ? Je n'ai pas répondu. J'ai tout mon temps, peu importe ce qu'elle envisage de faire. Et même si je déteste l'admettre, je l'attends toujours.

En cours, j'essaie de l'éviter. En fait, je ne sais pas trop comment agir avec elle. Elle m'a demandé du temps, alors j'imagine que ça inclut aussi de l'espace, non ? Malgré ça, nos regards se cherchent toujours puis, lorsqu'ils se trouvent, se transmettent un sentiment désolé. Je n'en peux plus de cette situation, j'ai l'impression que mon cœur est attaché à ma cheville, au plus bas, et qu'il est incapable de remonter. Du coup, mon moral est toujours par terre et ça craint de se sentir comme ça en permanence.

Assise confortablement dans le gros fauteuil en cuir noir de ma maison familiale, je soupire. C'est le weekend, je suis de retour chez moi. Les sessions d'examens ne me permettront pas ces petits moments percés à travers la boucle de ma nouvelle vie, alors j'en profite pendant que je le peux encore.

Je porte mon attention sur la télévision allumée, sur sourdine. Une série médicale, comme il y en a tant, est diffusée. Les mannequins en blouse blanche courent dans tous les sens, s'embrassent dans les salles d'auscultation vides et du sang jaillit d'une artère toutes les cinq minutes, sans compter les six réanimations cardiaques depuis le début de l'épisode que je ne suis que d'un œil. Je soupire encore, ma mère lève les yeux de son livre, un roman qui, si je me fie à sa couverture, semble aussi cliché que la série télé. Par-dessus ses lunettes rondes, elle me demande :

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Je tourne la tête vers elle. Je ne lui ai jamais parlé d'Arya... Je n'ai jamais parlé d'Arya à qui que ce soit d'ailleurs. Ai-je réellement envie de le faire ?

— Je... commençai-je avant de me raviser. Non, rien, je suis seulement fatiguée, c'était une dure semaine.

Non, je n'ai pas envie de le faire.

— Tu veux en parler ? répond-elle d'une voix douce, ouverte à la discussion.

Les pensées se chamboulent dans ma tête. Je ne suis plus sûre de ma décision. Et si ma mère pouvait m'aider, ou du moins, me réconforter, me faire sentir que tout ça finira par s'arranger ? Je sens un sanglot se former dans ma gorge et je n'ai aucune envie de le laisser s'échapper. Je repense au message d'Arya, à sa main dans la mienne, à ses paroles prononcées à quelques centimètres de mes lèvres... Dans la lumière tamisée du salon, je bats plusieurs fois des paupières et déglutis, tentant de récupérer ma voix afin de demander :

— Je peux avoir un câlin ?

Ma mère ferme aussitôt son livre et retire ses lunettes, qu'elle pose tous deux sur la petite table au bout du sofa sur lequel elle est assise. Puis, un léger sourire planant sur son visage, elle ouvre les bras, m'invitant à venir m'y loger... ce que je fais sans me faire prier.

Le fauteuil grince sous mon poids alors que je me lève, alertant mon chat couché à l'autre bout du sofa. Il saute ainsi de son perchoir, se dirigeant automatiquement vers son plat de croquettes, comme toujours quand il subit la moindre perturbation. Je me cale contre ma mère, entourant son corps de mes bras alors qu'elle fait de même avec moi. Un silence règne, je peux presque entendre mon cœur battre dans ma poitrine. Un sentiment de réconfort s'empare de moi, comme dans la douche, et mes barrières tombent. Je suis de nouveau vulnérable, mais cette fois-ci, en présence de quelqu'un, dans les bras de ma mère. Le sanglot revient, ma vue se brouille, je ferme les yeux. Une larme glisse à travers mes paupières et tombe sur le bras de ma mère.

— Oh ma chouette... dit-elle en passant une main sur mes cheveux.

Elle me serre fort contre elle et continue de caresser ma tête d'un geste maternel, doux, consolateur. Elle ne sait pas ce qui me met dans cet état, je sais que ça l'inquiète, je sais qu'elle aimerait comprendre. Lentement, je me calme, les sanglots disparaissent, ma mère essuie mes larmes du revers de sa manche molletonnée. Elle me serre toujours contre elle, sans dire un mot, me laissant libre champ de m'exprimer ou non. Je me rends compte qu'elle m'a manqué dans la dernière semaine, que je me suis ennuyée d'elle et de ses câlins. Je me suis ennuyée de tout ce qui fait mon chez-moi, ma stabilité, mon cocon de sécurité. Ça fait du bien de s'y retrouver.

Toujours dans la même position, entre les bras de ma mère, assise à côté d'elle, je laisse tomber :

— Elle ne m'a pas choisie...

Ma mère ne parle pas, attendant patiemment la suite de mon histoire, la suite de ce qui a causé tout ça.

— Je l'aime... et elle m'aime... Mais elle ne m'a pas choisie.

Je suis consciente du coming out que je viens de faire, mais je ne précise rien à ce sujet, et ma mère ne pose aucune question, ne réagit pas non plus, ce qui me rassure.

— Je l'ai connue cet été, par message, et là, elle est dans ma classe, résumai-je. Elle a un copain maintenant, et elle l'aime. Nous n'avons peut-être jamais été réellement ensemble, mais j'ai quand même l'impression de l'avoir perdue. Je n'arrive pas à me la sortir de la tête, encore plus maintenant que je la vois chaque jour. Je ne sais plus quoi faire maman...

Après quelques secondes, ma mère se déplace légèrement, me forçant à me redresser. Elle prend mes mains dans les siennes et me regarde dans les yeux, contact visuel que je n'ose briser.

— Tu sais Tess, commence-t-elle doucement, tu as le plus grand cœur que je connaisse et en plus de ça, tu es belle comme un ange. Si cette fille t'aime autant que tu l'aimes, et qu'elle se rend compte de l'erreur qu'elle fait en passant à côté de toi, crois-moi, elle reviendra vers toi. Elle te choisira.

Incapable de prononcer quoi que ce soit, j'acquiesce de la tête avant de fondre une nouvelle fois entre les bras de ma mère.

Identité [GxG]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant