Chapitre vingt quatre : Aglae

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Média : Truce — Twenty One Pilots

     Courir ne m'a jamais apporté autant de liberté qu'à cet instant. J'ai l'impression d'être l'incarnation de l'oubli, je ne pense plus à rien. Je cours juste. Je m'évade. Je ne vais nul part, je ne veux que courir, m'éloigner de toutes mes émotions, tous mes sentiments. Je veux mettre le plus de distance possible entre moi et moi-même, ce qui est impossible. Mais j'essaie quand même. Paradoxe. Je sens la vitesse me frôler, le vent m'entourer. La nuit, qui est tombée entre temps, m'adopte, les étoiles me réchauffent et la lune me couvre du regard. Protégée mais si vulnérable. Seule face à moi-même, sauf que je suis mon ennemie. Je sais ce que je suis capable de faire dans la douleur. Je sais ce dont je suis capable de me faire. Le noir de la nuit est le seul témoin de mes pensées et sera l'unique spectateur de mes actes.

     Mais, malgré toutes ses belles paroles, mes pensées reviennent toujours. Ce sont des boomerangs, je peux les lancer aussi fort que je le peux, aussi loin que je le veux, elles me reviendront toujours en pleine face. C'est le cercle de ma vie, ma malédiction dans un sens. Je me sens si seule. Le noir m'entoure et ma solitude m'emprisonne. Si je me sens seule, c'est tout simplement parce que je le suis.

     Je ne sais pas aller ni où je veux aller mais mes jambes décident à ma place. Elles me ramènent chez moi bien que je n'en ai aucune envie. Ma mère voit toujours quand ça ne va pas, faculté de maman comme elle dit. Elle va me poser tout un tas de questions sur cette fameuse sortie avec cette fameuse amie. Et, malheureusement, je ne prends conscience de tout ça qu'une fois arrivée devant chez moi. J'ai tellement mal que je ne fais plus attention à rien. Mon cœur bat mais je ne l'entends pas. Je sens que ma respiration est sifflante mais je ne l'entends pas. Je suis devenue sourde vis-à-vis de tout ce qui m'entoure. Seule ma douleur me provient en masse, sifflante, arrogante et vicieuse. J'ai mal et c'est la seule chose que je suis capable de penser avec certitude.

     Lorsque j'ouvre la porte de ma maison, la surdité disparaît et j'entends directement une voix que je reconnaîtrais entre mille. Et, je sais aussi qu'elle n'a rien à faire ici. J'avance, sans dire un seul mot, jusqu'au salon. Je sais qu'il est là et maintenant je veux juste qu'il parte. Et aussi des explications de ma mère. Comment Joshua peut-il être chez moi là, tout de suite, maintenant ? Je ne comprends rien. Comme d'habitude, me chuchoté-je à moi-même. Je m'autodésespère, c'est épuisant.

     Dans la pièce Joshua et ma mère sont l'un en face de l'autre, lui dans ce canapé bordeau que j'aime tant. C'est bête, mais je ne l'aimerai plus autant qu'avant. Je lâche un petit soupir devant ma propre idiotie et ma mère me voit enfin. Elle ouvre de grands yeux ronds et se lève instantanément. Elle se dirige vers moi à une vitesse surprenante et s'explique aussi rapidement :

— C'est Elois qui l'a amené ici. Enfin, il voulait le ramener chez lui après t'avoir parlé. Mais tu étais avec ton amie, et je sais pas pourquoi il est parti d'un coup tout à l'heure. Tu ne l'as pas vu ? Et d'ailleurs ça s'est bien passé ?

     Je pose ma main sur son épaule et lui dit de se calmer. Elle se fige, la bouche ouverte et me regarde longuement se demandant sûrement depuis quand je suis aussi autoritaire. Je crois que c'est la douleur qui fait ça. Elle m'endurci sans que je ne le veuille.

— Raconte moi tout depuis le début, ordonné-je à ma mère en m'asseyant sur le canapé, le plus loin possible de Joshua.

     Celui-ci ne m'a d'ailleurs adressé aucun mot, pas même un regard. C'est à se demander s'il m'a bien vu. Il est dans un sale état. Encore pire que ce matin. Il a des plaies en plus sur le visage et maintenant qu'il n'a plus son manteau et que ses manches sont remontées - sûrement l'œuvre de ma mère je vois clairement d'autres blessures sur son cou et ses bras. Pour la millième fois, je me demande qui lui a fait ça. Mais au fin fond de moi, je crois que j'ai fini par comprendre ce que ma mère commence à me raconter peu à peu.

Rayon de toi | romanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant