Horreur

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    Il faisait encore nuit quand je me réveillai. Tout était calme, silencieux. L’atmosphère était lourde, et une horrible odeur flottait à l’intérieur du phare. Je me relevai doucement, confus et sentis quelque chose de lourd dans les poches de mon manteau. Je mis ma main dans la poche intérieure droite et je sortis l’objet : il s’agissait du maudit couteau du Dr Montgomery ! J’abandonnai tout espoir. Il était clair que le couteau et moi étions liés ; j’avais une mission à accomplir, j’en étais maintenant certain. Je courus à une fenêtre pour voir si les gargouilles m’encerclaient toujours ; quelle fut ma joie quand je vis qu’elles avaient disparu ! Il était temps pour moi de quitter mon refuge. Je descendis lentement les marches, le couteau à la main. Alors que je m’apprêtai à sortir du phare, un bruit au sous-sol m’intrigua. Ce fut plus fort que moi, je descendis une nouvelle fois des escaliers. Je me retrouvai face à une grande porte en bois, sur laquelle se trouvaient des signes qui m’étaient connus : ils provenaient du Necronomicon. La porte était scellée. Instinctivement, avec le couteau je gravai de nouveaux symboles sur cette porte de bois. C’est alors que je sentis dans mon dos un grand appel d’air, comme si quelque chose venait de traverser la porte. Celle-ci s’ouvrait lentement, et m’offrait une vue sur un couloir sombre. Alors que je pénétrai dans le couloir, la porte se referma derrière moi. J’étais pris au piège. Je n’avais plus le choix, je devais affronter mon destin.

Les murs m’étaient trop familiers, j’avais l’impression d’être venu plusieurs fois dans ce terrible endroit. J’avançais vers l’inconnu. L’air était de moins en moins respirable et une odeur putride régnait. Aussi, à certains endroits, je parvenais à distinguer sur les cavités des taches sombres, et lorsque je m’avançai pour observer, je fus surpris de voir des mares de sang, comme si un animal avait été égorgé. Je continuai d’avancer, mais ma démarche devenait plus rapide, comme si inconsciemment, j’étais attirée par une entité.

J’arrivai dans une pièce qui n’était pas celle que j’avais vue dans mes cauchemars. Celle-ci était plus petite, plus froide, plus sombre. J’avançais lentement, mais mon pied droit heurta quelque chose au sol. Je pris l’objet dans ma main : il était froid, de forme circulaire, avec des cavités … J’espérai vraiment que ce qui était dans mes mains n’était pas ce à quoi je pensais … Je m’avançai vers une petite source de lumière et observai l’objet. Lorsque je compris ce que c’était, je le jetai au sol, m’essuyant les mains sur mon manteau. Je devenais fou, ce n’était pas possible ! Il s’agissait de la tête décapitée et putréfiée d’un homme, atteint de la maladie. J’avais du sang partout sur moi, j’étais terrifié, je tremblais. La tête avait roulé, le visage de l’homme me regardait. Je voyais la terreur sur son visage ; ces traits étaient tirés, ces yeux cataractés regardaient vers le haut, sa bouche violette était grande ouverte, comme s’il avait crié. J’entendais une voix m’appeler. Mon corps voulait suivre cette voie, retrouver son émetteur, mais je luttai inlassablement.

C’est alors que je vis ce que nul être humain ne voulait voir. Face à cette monstruosité, ce carnage, cette boucherie, je sentis mes membres inférieurs défaillir, ma gorge se nouer, mes yeux s’emplir de larmes. Je crois bien que personne sur terre, ni au monde n’est préparé à affronter ce genre de situation ; je dirais même qu’aucun homme censé ne pourrait un jour imaginer se retrouver face à cette terrible situation, dans laquelle on se retrouve malgré soi, à la fois victime et bourreau. La pièce était emplie de cadavres. Sur la droite, près d’un faisceau de lumière, une dizaine étaient empilés, jetés les uns sur les autres. Ils étaient nus, les côtes apparentes, le teint livide, gisant dans des substances que je ne parvenais pas à reconnaître.

Certains étaient démembrés, en état de décomposition, comme en témoignait la présence de nombreux petits asticots blancs et gesticulants dans les entrailles et orbites des cadavres. Aussi, d’autres avaient la mâchoire brisée, et semblaient être entourés d’une substance gluante, parente de la salive. Dans un coin, il semblait y avoir un tas d’os rongé par un animal. Mais je remarquai que tous ces cadavres, ces pauvres personnes qui avaient été massacrées, avaient un point commun : elles étaient toutes atteintes de la même pathologie, celle que j’essayais en vain de soigner depuis des semaines. Depuis quand ces massacres avaient-ils commencé ? Qui était la cause de cette boucherie ? Était-il seul ? Pourquoi massacrait-il toutes ces personnes atteintes de cette terrible maladie ? De nombreuses questions se bousculaient dans ma tête…

Je pleurais, mes idées étaient complètement brouillées, je restai là, statique, face à cet horrible massacre. Je balayai la pièce du regard. Sur la gauche, se trouvaient également d’autres cadavres, dont le visage était horrifié et les yeux exorbités. C’est alors que je la vis. Je m’approchai. Le corps frêle et sans vie d’Aria gisait au sol, dans une mare de sang. Je la prenais dans mes bras. Qui avait pu s’attaquer à cette pauvre enfant innocente ? Pour quelle raison ? Mes larmes ne cessaient de couler, se transformant en un véritable torrent. J’étais dévasté. Alors que je dévisageai Aria, je remarquai qu’elle tenait un objet brillant dans sa main droite, le poing fermé. Je pris soin d’ouvrir délicatement sa main, mais lorsque je vis l’objet, je lâchai sa main ; je me sentis instantanément mourir. La main tremblante, je saisissais l’objet, qui n’était autre que le petit insigne en argent représentant l’université d’Arkham, que j’avais perdu lors de la tempête. Je compris alors que la personne qui avait commis cette boucherie n’était autre que … Moi ! À ce moment-là, je ne trouvais aucune explication rationnelle. Pourquoi moi, avais-je tué tous ces gens, alors que j’avais toujours respecté le serment d’Hippocrate ? Comment avais-je fait pour ne pas m’en rendre compte ? Non, je refusais de croire les faits, et la preuve qui m’inculpait. Je commençai à entendre les cris des victimes dans ma tête. Je recouvris mes oreilles afin de ne plus entendre leurs supplications, mais elles continuèrent de crier. Je me jetai contre tous les murs de la pièce, criant de plus en plus fort, me blessant physiquement, mais rien n’y faisait. Dans ma folie, je heurtai le corps de la petite Aria, et tombai au sol, juste en face d’elle. Je me souvins lui avoir demandé pardon, alors que je pleurais de tristesse et d’agonie.

LE PHARE D'OUTRE TOMBEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant