23h - Décalcomanie

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« Comme Gulliver, je voyage entre rêve et réalité.»

- 2nd Grade

Dark & Wild

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02 Octobre 2086 – France – 20h30

L'infirmier passerait bientôt pour la visite du soir, pourtant le vieil homme était encore planté devant le miroir de sa grande salle de bain. Cette dernière était un palace à elle toute seule, très lumineuse, et particulièrement pratique à l'entretien grâce à son carrelage blanc et noir. Il avait acheté cet appartement il y a six ans, justement parce que le matériel adapté aux personnes à mobilité réduite n'était pas trop visible.

Tout comme sa chambre, d'ailleurs. Il avait tout choisi pour ne surtout pas se sentir coincé dans un milieu médical.

Ses jambes nues et maigres tremblaient sous son poids, et il devait se tenir à la vasque pour garder l'équilibre, mais son regard n'arrivait pas à se détacher de cette personne qui n'était plus lui. Il pouvait rester longtemps dans cette position ces derniers temps, l'infirmier s'en était inquiété mais il n'en avait rien à faire. C'était déjà la fin, qu'est-ce qu'il se fichait de tomber sous la douche. Ce n'était plus comme à l'époque, où une simple incision sur le pied pouvait encore être synonyme de la fin du monde.

La personne qui lui faisait face dans le miroir monta sa main jusqu'à son visage, en passant de façon tremblante sur la peau presque transparente de son cou. C'était comme une caresse malvenue pour la texture trop flasque sous ses doigts.

L'une des premières choses qu'il avait regretté de sa jeunesse fut sa peau claire et lisse.

Dans les premiers temps, elle était seulement devenue moins élastique, plus fine, moins satinée. Sa sècheresse de plus en plus marquée avait rendu son visage plus sévère et ses yeux plus grands encore. Il s'était regardé dans la glace un matin, et il avait vu le changement, comme si ces détails lui sautaient à la gorge. Les sillons sur son visage lui avaient déjà paru totalement incontournables.

L'homme qu'il était alors avait remarqué le passage du temps sur sa peau, et son reflet dans le miroir lui avait renvoyé une émotion qui l'accompagnerait tout le reste de sa vie : Il était pourtant bien tôt à l'époque, pour avoir déjà peur de vieillir.

Valait-il mieux vivre dans un monde illusoire ou mourir dans la réalité de l'existence ?

Il était déjà resté debout trop longtemps, ce qui le fit batailler durement pour rejoindre le déambulateur et encore plus pour garder le cap jusqu'à sa chambre. Parfois il se demandait s'il n'avait pas mal fait les choses. N'aurait-il pas été mieux installé chez ses enfants s'il en avait eu ? Ils auraient pu prendre soin de lui.

Un rire gras quitta ses poumons, secouant son corps au passage. Les enfants ne venaient pas au monde pour prendre soin de leurs parents, il aurait vraiment raté sa vie personnelle si ses pensées avaient dévié jusque-là. Non, il était millionnaire et sans aucune descendance, il avait largement les moyens de mourir tranquillement. Sans emmerder le monde. En silence.

Il s'installa lourdement au bord de son lit, sans même une relative sécurité ; il avait l'habitude de faire ces mouvements-là maintenant, et se contentait de se jeter autant qu'il le pouvait sur le lit. C'était dangereux, mais il ne se méfiait plus de rien. C'était exactement ce qui lui était arrivé quand il s'était installé ici... Il avait voulu faire semblant d'avoir vingt ans à nouveau.

La France lui avait paradoxalement paru être un bon choix pour finir ses jours en beauté : Ici, il restait un visage plus ou moins anonyme, particulièrement avec son visage vieillissant. La nourriture n'était pas mauvaise, la ville lui donnait un souffle de nouveauté quand plus rien à Séoul n'y parvenait. Il avait réglé tous les papiers nécessaires en quelques semaines, et avant même qu'il ne s'en soit vraiment rendu compte, il était déjà en train de s'installer dans son appartement.

Matriochkas - [Advent Calendar]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant