Chapitre 4 - Quand la réalité reprend ses droits

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Xavier

— Bordel de merde !

Je peste en donnant des coups de fourche rageurs dans le tas de paille, manquant de peu de m'embrocher le pied. Normalement, ce n'est pas moi qui m'occupe du fourrage des bêtes, confiant plutôt ce pan du travail à Sébastien et Pierrick, nos deux employés agricoles ou à Thomas.

Notre ferme propose un panel de services très diversifiés, de la culture de céréales à la traite de vaches allaitantes ou à la location de boxes pour des chevaux à la retraite. Il n'existe plus beaucoup d'entreprises pérennes dans la région, notre polyvalence fait notre force, et surtout ne nous laisse jamais dans le pétrin.

En cas de mauvaise récolte, d'intempéries ou même de maladie dans les troupeaux, nous pouvons toujours compenser grâce à nos autres productions, ou avec la partie gîte. Je n'ai pas vraiment d'attribution particulière en dehors de la gestion de l'administratif, ce qui me prend déjà beaucoup de temps. À part ça, je m'attèle à ce qui doit être fait, tel un électron libre, disponible pour aider l'un ou l'autre de mes collègues au besoin.

Je redouble d'efforts tentant ainsi de noyer mes états d'âme dans le travail. Comme si un divorce ne suffisait pas, il a fallu que je succombe à l'appel de la chair. Quel con ! Je n'ai pas besoin de ce genre de distraction ni même d'une nénette prête à me suivre partout pour un peu d'attention, aussi jolie et attirante soit-elle. C'était l'histoire d'un soir, j'espère qu'elle n'en attend rien de plus... J'ai beau pester, des flashs de notre nuit ne cessent de tourner dans ma tête. Je la revois me chevauchant, son corps éclairé par la lumière des bougies. Mes mains sur sa poitrine, sur ses fesses, en voulant toujours plus.

— Rahhhhh ! crié-je encore, énervé contre moi-même et contre cette envie lancinante.

— Un problème ? me demande Thomas.

Je sursaute, et me retourne. Mon cousin est en tenue de travail et il me toise, accoudé à la barrière du couloir de paillage. Ses cheveux en bataille et ses yeux fatigués trahissent son réveil récent, nul doute que mon père l'a envoyé bossé, un coup de pied au derrière. Même si c'est un employé coriace et dévoué à l'entreprise familiale, il n'y a pas à dire, il n'est pas du matin. Il est rare de le voir avant dix heures ! Toutefois, cette fois je serai bien resté au lit, moi aussi, le manque de sommeil se fait sentir et contribue à amplifier ma mauvaise humeur.

— Tu m'as fait peur ! m'exclamé-je en grognant.

— Quelqu'un s'est levé de mauvais poil, s'amuse-t-il.

Je lui lance mon regard le plus noir possible.

— À moins que tu ne te sois pas couché du tout, ajoute-t-il en avisant mes cernes. T'as une gueule à faire relever les morts, frérot !

— Oh ça va, hein... Pas besoin de me faire la morale, j'ai déjà eu quelques remarques du paternel à l'aube.

Croiser son père en rentrant en catimini à trente-six ans cela n'a rien de glorieux... Je n'ai pas le temps de me remémorer la honte éprouvée que le rire de Thomas s'élève dans la stabulation.

— Jusqu'à l'aube, hein ! Et moi qui te croyais trop vieux pour ce type de « rodéo », on dirait que t'as pas perdu la main, dit-il en mimant une chevauchée qui n'a rien de respectable.

— La ferme, Thomas ! craché-je en frottant ma barbe, agacé.

Mon cousin ne peut retenir son hilarité face à ma mine décomposée. Si pour lui s'envoyer en l'air avec des inconnues est monnaie courante, c'est loin d'être mon cas. Je suis plus du genre « couple » que volage, même si j'ai bien profité durant ma jeunesse, cela fait des années que je préfère une vie posée de famille plutôt que des histoires éphémères.

Nuit d'orage et petites complicationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant