Septième extrait du journal de Naruto

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Dimanche 7 mai.

Je suis épuisé. La cicatrice laissée par la balle que je me suis pris dans les côtes il y a maintenant un mois a bien du mal à cicatriser, tout comme les blessures qui lacèrent mon cœur. Les beaux jours arrivent, mais je suis frigorifié. Des rumeurs de paix circulent, mais je n'y crois pas. Certains retrouvent le sourire, pas moi. Je n'ai plus goût à rien. Je vois défiler ma vie devant l'écran de mes yeux comme un spectateur neutre, qui n'a aucune envie d'intervenir. Rire ne m'intéresse plus, et il m'arrive même parfois de me demander ce que ce mot signifie.

Les ordres d'attaques sont plus nombreux chaque semaine, et nous partons plus régulièrement que jamais en mission. Nous tuons à tour de bras, et en plus nous en sommes félicités chaleureusement. Je suis las de tout cela. Il y a quelques temps, ces machinations machiavéliques m'inspiraient la colère. Aujourd'hui, elles ne m'inspirent plus rien du tout. Au fond de mon cœur – en ai-je au moins encore un ? – je n'aspire qu'à une chose, disparaître. J'étais bien le seul à m'énerver contre ces injustices, alors j'ai cessé de hausser la voix. Je me suis résigné, même si j'ai ce mot en horreur. Je dois bien l'admettre, je suis faible. Face à l'adversité, ma volonté a fini par plier, et même si je l'entends parfois hurler dans mes tripes, je préfère redonner un tour de clé à la cage qui l'enferme. Laisser couler les événement a quelque chose de plus facile, et le flegme s'est emparé de moi. Il faut croire que son départ précipité a sapé mes dernières miettes de détermination.

Sasuke... Je suis sans nouvelles de toi depuis déjà plus de deux mois. Je ne sais pas si tu vas bien, je ne sais même pas si tu es toujours de ce monde. Tout ce que Sakura a pu apprendre, c'est que tu as été transféré à l'hôpital de la feuille – quel nom horrible. Le secret médical est de mise même entre collègues apparemment, car personne n'a voulu informer ma seule amie ici de ce qu'il t'est arrivé. Une infime partie de moi-même me secoue pour t'écrire une lettre, rien qu'une courte lettre, juste pour te dire que je pense à toi, si par chance tu es encore vivant. Mais je suis lucide. Je sais pertinemment que le mensonge n'est pas mon fort, et que tu finirais par comprendre que je vis en plein cauchemar. Alors je garde mes élucubrations pour mon carnet, le neuvième depuis le début de cette putain de guerre. Je les cache sous mon oreiller en lambeaux, et le pire c'est que je ne sais même pas pourquoi. Pour faire pleurer la personne qui les lira un jour, si tant est qu'ils intéressent quelqu'un ?

Je voudrais parfois avoir la force de les brûler, de croire en ta guérison, de cracher à nouveau sur mes supérieurs et de gueuler un bon coup. Mais mon corps me paraît bien faible depuis quelques temps. J'inquiète Shikamaru, qui n'arrête pas de me répéter que je perds trop de poids pour que ce soit normal. Mais je n'en ai rien à foutre. Est-ce que mon inconscient me joue le tour du « Je veux souffrir aussi pour mieux te comprendre » ? Si c'est cela, c'est d'un ridicule navrant. Mais après tout, il me semble maintenant, d'un point de vue d'adulte écorché par la réalité des choses, que j'ai toujours été d'un ridicule navrant. J'ai cru à bon nombre de mièvreries qui disaient que le monde était un bel endroit, un lieu où l'on pouvait croire en ses rêves, où l'on pouvait construire tout pour peu qu'on ait l'espoir. Mais c'est faux, Sasuke. Ce monde, c'est qu'une décharge puante où les prédateurs, tapis dans l'ombre, attendent que leurs proies se soient empiffrées pour mieux les attaquer. C'est qu'une peinture joliment mal faite, jetée sur la calomnie, la corruption, l'avarice, le ressentiment et tout ce qu'il peut y avoir de négatif. Ce monde, c'est de la merde.

Je crois bien qu'on n'en sortira jamais de cette guerre civile stupide. Tu sais pourquoi, Sasuke ? Parce que l'humain est un animal idiot qui adore tuer. Il aime tellement cela qu'il nargue, espérant qu'un ennemi vienne l'attaquer afin qu'il puisse riposter en toute impunité, et rassasier sa soif de massacre. L'humain c'est ce qu'il y a de pire. C'est trop intelligent, quelque part. Au moins, si les humains étaient cons, peut-être qu'ils n'arbitreraient pas volontairement leur propre destruction.

On était très cons à vingt ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant