Chapitre 7

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Il fait beau, aujourd'hui. Il fait même chaud pour un début de mois de juin. Les rayons du soleil qui caressent mon dos m'arrachent un frisson. Entre eux et ma peau, il n'y a guère que le tissu fin de mon tee-shirt et je n'en ai plus l'habitude. Depuis que je ne porte plus mon treillis, j'ai tout le temps l'impression d'avoir froid. C'est paradoxal, moi qui ai tant espéré pendant plus d'un an de le jeter aux orties, voilà qu'à la fin de la guerre, il me manque. Il faut croire que ma tête est bizarrement faite.

Avec un soupir insignifiant, je jette un regard torve au journal qui gît près de moi sur le banc de la place du Carrousel Blanc. On peut y lire en grosses lettres que le pays a retrouvé sa stabilité, que les rebelles qui n'ont pas été vaincus seront jugés incessamment sous peu, que tout va bien dans le meilleur des mondes. Décidément, même dans un métier aussi neutre que celui de journaliste, je constate que la mauvaise foi existe bel et bien. Ce n'est pas parce que la guerre est finie depuis une petite semaine que toutes les cicatrices se sont déjà résorbé. C'est un processus bien lent, et cela ne sert à rien d'essayer de l'accélérer, bien au contraire ! À mes yeux, ce n'est que prendre un risque inutile.

Un tintement de carillon me sort soudain de mes pensées. Je renverse ma tête en arrière pour jeter un coup d'œil à la grande horloge qui surplombe la place. Il est quatorze heures, et c'est enfin l'heure du début des visites à l'hôpital de la feuille. Depuis que la victoire a été annoncée, je ne pense plus qu'à ça, et devoir rester quatre jours de plus sur la base pour effectuer quelques dernières missions de sécurisation m'a fait trépigner comme jamais. C'est donc fébrilement que je passe les hautes portes du bâtiment gris et que je me dirige vers le grand comptoir de l'accueil. Un peu au hasard, je choisis une secrétaire aux cheveux d'un rouge flamboyant et à la coiffure étrange – court et ébouriffé d'un côté, long et lisse de l'autre – pour poser la question qui me brûle les lèvres depuis trop longtemps. Son voisin de droite n'a pas l'air très avenant...

En avançant doucement, je me repasse pour la énième fois la litanie que je répète en boucle dans ma tête depuis plusieurs jours. Je peux y arriver, je peux poser cette question fatidique. Mais quand les yeux instigateurs de la secrétaire se posent sur moi alors que j'arrive à sa hauteur, je sens toutes mes forces me quitter. Je prends tout de même une profonde inspiration, et me lance. De toutes manières, si je ne pose pas la question, je vais devenir fou.

— Bonjour. Je me doute bien que vous devez avoir des tonnes de visites comme celle-là en ce moment et je m'en excuse, mais je voudrais savoir... il y a de cela trois mois, une ambulance a amené ici une personne qui m'est très chère. Est-ce que vous pourriez m'indiquer si... si ça vaut encore la peine que je m'inquiète pour cette personne ? finis-je, incapable d'articuler les mots qui me viennent à l'esprit.

Pourtant, ils sont bien simples. Je veux savoir s'il est mort. Ce n'est pas compliqué à dire. Mais ma gorge nouée a purement et simplement refusé de coopérer, préférant à ce mot abrupt une périphrase qui m'a immédiatement paru stupide. Fort heureusement, la secrétaire a très bien compris ma situation, et elle me sourit sincèrement en acquiesçant, avant de diriger à nouveau son regard vers l'énorme registre ouvert devant elle.

— Un soldat ?

— Oui.

— Régiment ?

— Septième d'infanterie.

— Jour et mois d'admission ?

— 8 mars.

— Nom et prénom ?

— Uchiwa Sasuke.

— Jour et mois de naissance ?

— 23 juillet.

On était très cons à vingt ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant