Sixième extrait du journal de Naruto

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Jeudi 5 janvier.

Pourquoi dont-on tuer ? Est-ce un jeu ? Parce que j'ai parfois l'impression de n'être qu'une pièce insignifiante sur un plateau d'échecs grandeur nature. Je ne suis libre ni de mes mouvements, ni de mes paroles, presque pas de mes idées ! J'ai si souvent envie de hurler à m'en arracher les cordes vocales, de cracher toutes les pensées qui me passent par la tête, pour vider mon cerveau plein à craquer de négativisme. Je voudrais tant de choses à la fois que j'ai parfois du mal à savoir ce que je veux vraiment. Je rêve d'arrêter le temps pour m'échapper de ce carcan d'autorité qu'est la hiérarchie de l'armée. Je rêve de mettre une claque magistrale à tous ceux qui me privent de mon bon vouloir. Je rêve de faire taire toutes les armes qui m'entourent, et de consoler tous les esprits tourmentés qui pleurent en silence autour de moi. Je rêve de faire tout exploser pour avoir enfin la paix, de réduire en poussière tout ce qui ne me plaît pas dans ce monde, puis je réalise que cela signifierait réduire presque tout en poussière. Je rêve de m'enfuir avec Sasuke, de déserter sans avoir la peur au ventre, sans craindre que l'on nous retrouve et que l'on nous passe sous le feu vengeur des carabines de ceux qui nous dirigent. Je rêve, je rêve, je rêve mais au final rien de tout cela ne se réalisera jamais et j'en suis bien conscient.

Le dégoût amer à l'égard de mon existence actuelle ne fait que grandir avec le temps qui passe et je me demande bien si un jour j'arriverai à le surmonter. Jusqu'à il y a peu, je me disais qu'avec la fin de la guerre, viendrait la rédemption. Que la petite fille du marché ne hanterait plus mes nuits, que je n'entendrais plus le raclement sourd des mitraillettes même dans mon sommeil, que je ne verrais plus le mal partout. Mais depuis hier, tout cela me paraît impossible.

J'ai reçu la visite de notre Caporal, monsieur Umino, qui m'a communiqué un ordre indiscutable : faire partie d'un peloton d'exécution. La veille, un groupe de rebelles avait été arrêté dans un village non loin de notre base, juste après avoir orchestré un attentat qui avait coûté la vie au maire et à deux de ses conseillers. Ils avaient été condamnés à mort sans plus de cérémonie le matin-même, et l'on me demandait de faire partie de ceux qui leur ôteraient la vie. J'ai d'abord lâché un petit rire sans joie, aussi ironique que j'ai pu, avant de refuser sans grand discours. Mais ce cher Caporal n'a pas eu l'air d'apprécier, et m'a fait faire volte-face aussi sec, en me lâchant d'une voix glaçante une phrase qui retentit encore maintenant à mes oreilles. « Je vous conseille d'obéir si vous ne voulez pas finir à leurs côtés. »

J'y suis donc allé en rentrant la tête dans les épaules. Je me suis fait l'effet d'un zombie, d'un automate sourd et aveugle à l'horreur que j'ai vécu pendant quelques instants. Et je suis reparti comme un soldat de plomb, marchant au petit bonheur la chance, la tête vide et le cœur battant au ralenti. Ce n'est qu'après avoir heurté le coin pointu d'un bâtiment avec mon épaule que j'ai réalisé vraiment ce qu'il venait de se passer et que j'ai vomi la seule chose que j'avais avalé de la journée : un bol de riz trop cuit. Les images de ce que je venais de faire se sont installées dans ma mémoire et je n'arrive pas à les éradiquer. Si seulement il m'était possible de contrôler le fonctionnement de mon cerveau...

On était très cons à vingt ansOù les histoires vivent. Découvrez maintenant