Bonus 4

863 40 22
                                    

Quatorze ans après le procès

Jade Draxler

Je viens de raccrocher quand Julian entre dans la pièce. Je ne crois toujours pas ce que je viens d'entendre de mon interlocuteur. Tous les cauchemars du passé refont surface. Mon coeur bat à rompre ma poitrine. Je m'assois sur le canapé pour ne pas tomber sur le sol. La crainte m'envahit. Et si ma vie n'avait été qu'un rêve éveillé après le procès ?

- Il est sorti de prison aujourd'hui, balbutie-je. Ils ont réduit sa peine d'un an pour bonne conduite. Il a pu sortir avec un bracelet.

- Ne t'inquiète pas, il ne te fera rien, me rassure mon mari.

- Je n'ai pas peur pour moi, j'ai peur pour Judy, mens-je à moitié. Elle a le droit de savoir.

- Savoir quoi ?, nous interroge notre fille.

Elle entre dans le salon et nous observe. Elle a treize ans maintenant. Elle a grandi si vite. Nous n'avons pas vu les années passer avec Julian. Nous lui avons expliqué qu'il n'est pas son père biologique. Sans entrer dans les détails, je lui ai seulement raconté que son père biologique est parti avant sa naissance. Un demi-mensonge dont j'espérais n'avoir jamais à dévoiler la suite. Mais le passé nous rattrape toujours un jour.

Elle ne sait pas quel monstre il a été avec moi, que j'ai failli mourir sous ses coups. Je ne lui ai jamais dit du mal de son père. Seulement qu'il est parti avant de savoir que j'étais enceinte car ça n'allait plus entre nous. Je n'ai jamais réussi à lui dire la vérité, cette horrible vérité, celle d'une femme battue qui n'arrivait pas à quitter l'emprise de son bourreau. J'ai préféré la bercé de contes de fée et de princes charmants comme mon histoire.

Le prince sur son cheval blanc qui sauve la princesse en détresse, plus qu'un conte pour moi, une réalité. Julian m'a sauvé la vie, nous à sauver la vie à notre fille et moi. Judy ne connait que la partie "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants" de mon histoire avec le footballeur. Elle n'a pas besoin de connaître la cruauté dont font preuve certains êtres humains.

- Qu'est-ce que je dois savoir ?, insiste ma fille. Elle continue de me fixer mais je ne dis rien. Papa, qu'est-ce que vous me cachez ?

- Rien, juste une histoire de grande personne, entends-je mon mari bégayer une explication.

- Je sais que tu mens papa. Je vois bien à la tête de maman que quelque chose de grave est arrivé. Quelqu'un est mort ?

- Si seulement, murmure-je.

Ça aurait été tellement plus simple s'il ne faisait plus parti de ce monde. Jamais je n'avais espéré la mort de mon bourreau. Depuis ma libération de son emprise, je vis un rêve éveillé, je profite de la vie et de ce qu'elle a de plus beau à offrir : l'amour sincère. Mais tout aurait été plus simple si Paul ne faisait plus parti de ce monde. Jamais je n'aurais eu à affronter la situation qui va venir.

- Non personne n'est mort, ma Princesse, la rassure Julian.

Il me regarde et dans un mot, je comprends qu'on ne peut plus cacher la réalité à notre fille.

Je me lève et me dirige vers la chambre conjugale, Julian et Judy dans mes pas. Dans le dressing, je récupère une boîte dans laquelle j'ai enfermé mes démons du passé, telle une boîte de Pandore que je m'étais jurée de ne jamais ouvrir. Tout les documents du procès sont présents, tous les détails de mes souffrances sont écrits à l'encre noir. 

Je m'assois sur le lit, mon mari à ma gauche, notre fille à ma droite. Je souffle pour me donner du courage et commence à soulever le couvercle. Julian pose sa main dessus.

- Tu es sûre que c'est le bon moment ?, me questionne-t-il.

Je hoche la tête positivement et poursuit mon geste. Ma fille a le droit de connaître son histoire, ses origines. 

Le couvercle posé derrière mon dos, je sors le premier papier : la décision du juge concernant la peine de Paul. Je tends la feuille à ma fille. Elle parcourt les mots, les phrases qui ont changé ma vie. Je suis passée de victime silencieuse à victime entendue. J'ai pu tirer un trait sur mon passé. depuis ce jour même si ça ne sait pas fait du jour au lendemain. 

- C'est qui ce Paul ? Et pourquoi c'est marqué violence conjugale ?, lit-elle. 

Je ne peux plus reculer, c'est trop tard. Mon passé se confond avec mon présent. Je commence à expliquer à ma fille ce que j'ai vécu pendant plusieurs année. 

- Tout a commencé un soir en boîte de nuit. Paul était tout à fait mon style physiquement et je me suis laissé prendre à son jeu de séduction.

Un numéro de téléphone noté sur une serviette en papier, un appel quelques jours plus tard et un verre pris en terrasse, je me suis laissée prendre au jeu de l'amour qu'il me faisait miroiter. 

Au début tout était beau, tout était rose, le parfait prince charmant. Mais derrière cette facette d'ange se cachait un démon. Le premier coup m'a été donné après une soirée étudiante. Paul était distant, m'observant du coin de l'œil sans pour autant vouloir me dire ce qui n'allait pas, malgré mon insistance. Durant cette soirée, comme dans toutes soirées, j'ai traîné avec mes amis, filles et garçons, sans penser à mal.

C'est en rentrant à l'appartement, la porte à peine refermée, que Paul m'a empoignée par les cheveux et traînée jusqu'à la chambre. Jetée sur le lit comme un vulgaire déchet, j'ai reçu une première claque sur la joue et plus encore. 

Les jours ont suivi et Paul me faisait sentir coupable tout en m'offrant les plus beaux cadeaux lorsque je me comportais bien. Et ce cercle vicieux s'est poursuivi pendant longtemps. Je me sentais sale et je ne me voyait plus mériter l'amour de quelqu'un d'autre. Je n'étais pas digne de l'amour, le vrai d'après mon bourreau. Je me suis éloignée de tous mes amis et ma famille. 

Jusqu'au jour où je me suis enfuis. Je suis parti en courant sans rien d'autre que mon sac avec mes papiers et mon ordinateur. Je ne me suis jamais retournée. J'ai marché plusieurs kilomètres, ne sachant pas où j'allais, seulement que je le quittais. J'avais peur qu'il me retrouve dans la nuit, alors j'ai continué à avancer, avancer, ne prêtant pas attention à la douleur dans mes jambes. 

Et tout a changé le 8 Juillet 2019. Un nouveau départ est né. J'ai découvert le vrai amour, j'ai rencontré celui qui a changé ma vie, conclue-je.

Des larmes ont commencé à couler sur mes joues. Les scènes de violence se jouaient dans ma tête en même temps que mes explications. Ma fille ne dit rien. Elle nous regarde, son père et moi, perdue. Elle met plusieurs minutes à assimiler ce que je viens de lui raconter. Les mots sont durs, brutaux pour une fille de treize ans. Tout son monde de conte de fée s'écroule autour d'elle. La vie peut être noir et sombre mais je ne voulais pas qu'elle connaisse cette noirceur. 

- C'est mon père biologique qui t'a fait souffrir ?, demande-t-elle ne voulant pas croire cette vérité. 

 - Oui c'est lui, affirme-je. Et aujourd'hui j'ai appris qu'il sortait de prison.

Elle se lève et sort de la pièce. Je ne l'ai pas retenu. Je n'ai pas le courage de lui courir après. Je n'ai pas le courage d'affronter sa colère car je sais qu'elle est en colère. Son regard noir sur moi au moment de partir m'a fait froid dans le dos. Pour la première fois en quinze ans, j'ai revu le visage de son géniteur dessiné sur le sien. Le même regard de colère, le même que celui qu'il avait sur moi avant de me frapper. 

J'entends la porte d'entrée claquer. Ma fille est partie sans rien dire. J'ai perdu ma fille à cause de mon passé. 

------------

Voici un petit bonus. J'en ai un autre en cours d'écriture qui arrivera peut-être à la rentrée. Je vous retrouve donc bientôt, je l'espère 😊

L'Amour après la violence - J. Draxler ✔️Où les histoires vivent. Découvrez maintenant