XI. Merveilles d'outre-mer

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Au large de Gibraltar, décembre 1918

Je suis adossé au pont du navire de la Marine française qui fend les flots méditerranéens, prêté chaleureusement par le président pour me rendre un dernier service. Mon regard se perd dans les tumultueuses vagues du détroit de Gibraltar, s'entrechoquant dans un spectacle d'une beauté magnifique. Mes yeux jonglent entre les montagnes escarpées marocaines, d'une teinte ocre rivalisant avec les terres rocheuses du britannique Gibraltar, et l'Andalousie espagnole, voisine millénaire, dont les ports et les villes s'étendent sur les côtes. Je lis et relis la lettre de mon père, perplexe, toujours aussi étonné, ne comptant plus le nombre de mes relectures.

« Mon cher Maximilien,

Connaissant ta femme, elle a dû frôler l'arrêt cardiaque le jour où je suis subitement parti avec Liliane ; mais je ne peux t'écrire que maintenant, ou du moins mes idées me sont enfin assez claires pour me le permettre. Je t'en prie, ne t'inquiète surtout pas, je suis seulement en Algérie ! Je vais tout t'expliquer, je m'imagine bien ta tête confuse au-dessus de mon écriture. »

Je souris devant le jeu de questions-réponses imaginé par mon père, qui me connait mieux que quiconque.

« Pourquoi suis-je parti avec Liliane ?

Parce que j'ai quelques affaires à régler et que, dans notre vie un peu trop paisible de retraités, l'aventure est exaltante ! Elle m'a suivie donc dans ma folle initiative, accompagnant son « frangin » de toujours. Elle va peut-être me taper si je te le dis, mais ce qu'elle papote quand on n'est que tous les deux !

Pourquoi être partis tout court, n'est-ce pas ?

Parce que j'ai quelques affaires à régler, je te l'ai déjà dit. De très, très, très vieilles affaires, de jeunesse si j'ose dire ! Pour être tout à fait honnête, la mort de François, mon ami de toujours, m'a fait comprendre que la vie doit se vivre pleinement. Je ne peux plus continuer à me morfondre de mes choix de jeunesse, me repentant de n'avoir su les assumer. À vrai dire, tout a commencé en 1871. »

– Monsieur le général, nous approchons des côtes algériennes, me dit timidement le capitaine du navire qui, effectuant un salut militaire, m'interrompt dans ma réflexion.

Je le coupe, souriant :

– Vous savez, je ne suis officiellement plus général, vous pouvez m'appeler Maximilien, capitaine. C'est même vous mon supérieur.

– Fort bien, monsieur le gén... euh, Maximilien. C'est juste que vous ne m'avez toujours pas dit où vous désiriez accoster.

– Eh bien justement, capitaine Martellin, si je la comprenais, la destination, ça nous arrangerait bien ! Ralentissez notre vitesse et laissez-moi un peu plus d'une heure, je vous en serais très reconnaissant.

– Bien, mon général, répond Martellin, vivement exténué.

Je reprends le cours de ma lecture avec concentration, indifférent aux soupirs du commandant Martellin qui repart.

« À vrai dire, tout a commencé en 1871, lorsque, comme tu le sais déjà, je suis parti pour les colonies africaines avec mon régiment de la Légion étrangère afin de tenter de mettre un terme aux révoltes incessantes. C'est là que j'ai eu le coup de foudre de ma vie, quelques années après mon arrivée sur le territoire, moi qui m'étais juré de ne plus jamais aimer à la mort de ta mère, quand Pierre, ton frère, est né.

Hein ?! Qui ça ?

Je suis tombé amoureux d'une belle Algérienne qui, étonnamment, était en faveur des Français, car elle disait que les moyens de notre gouvernement aidaient l'Algérie à se développer bien au-delà de sa simple condition coloniale. Notre histoire a été merveilleuse, nous vivions intensément, comme hors du temps, hors de la guerre. Cela a duré trois mois. Tu connais la suite, le régiment de la Légion étrangère que je commandais a subi une lourde défaite et les révolutionnaires nous ont capturé. Jamais je n'ai pu la revoir, jamais je n'ai cessé de l'aimer.

Les Méandres du Passé - RomanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant