Quelques cieux étoilés plus tard

23 3 6
                                    

Place Nationale, Montauban, 24 décembre 1997

Il la fait valser dans le salon de l'appartement décoré de guirlandes, au rythme de All I Want For Christmas Is You¸ une chanson festive sortie quelques années plus tôt. Elle rit aux éclats, dans les bras de son mari. Elle a vingt-sept ans, lui en a vingt-neuf.

Leur jeune fils, pas plus haut que trois pommes, suivi de sa petite sœur, court jusqu'à son père. Elle saute dans les bras de sa mère en gazouillant. Son frère tire la manche de son père.

– P'pa, p'pa ! Il manque des guirlandes pour le sapin ! Faut se dépêcher, sinon on finira pas à temps !

– J'arrive, mon chéri.

La mère embrasse son mari. Elle le trouve toujours aussi séduisant, même après plusieurs années de mariage, elle le regarde s'éloigner ; grand, particulièrement espagnol, des muscles saillants se devinant sous sa chemise, avec des cheveux châtains légèrement en bataille et un regard vert magnifique. Il est parti d'Espagne lorsqu'il avait vingt-deux ans ; il s'est installé ici, à Montauban, dans un appartement appartenant depuis des décennies à sa famille française.

Il suit son fils qui monte deux à deux les marches de l'escalier, grimpant les deux étages pour se rendre au grenier. L'enfant, réplique miniature de son père, se retourne brusquement, la mine effrayée :

– Mais, papa, où qu'elles sont les guirlandes ?

Le père éclate de rire devant l'inquiétude candide de son fils de six ans pour un simple sapin de Noël.

– Tu n'as qu'à chercher dans tous les coffres. Ne t'inquiète pas, cariño¸ on aura largement fini à temps le sapin pour que le père Noël nous livre les cadeaux !

Père et fils entreprennent un long travail de recherche à travers l'enchevêtrement d'objets, petits et grands, poussiéreux et neufs, tous autant incongrus les uns que les autres.

– Quel bazar, ici !

– P'PA, J'AI TROUVÉ ! hurle l'enfant au comble du bonheur, brandissant fièrement trois guirlandes scintillantes.

– C'est bien, Alexandre. Redescendons.

L'Espagnol s'arrête en chemin, intrigué par un vieux livre tout poussiéreux posé à cheval entre un carton d'ouvrages et une pile de smokings des années quarante.

– Qu'est-ce que c'est que ça...

L'homme souffle dessus pour enlever la couche de poussière qui s'envole en un tourbillon vers les hauteurs du grenier, il tousse en tentant d'en éloigner les volutes. Par chance, le livre est encore mystérieusement intact. Il en tourne les pages, rédigées d'une belle et fine écriture manuscrite, puis il lit la première.

« Strasbourg, 19 juillet 1870.

– PIERRE ! LOUIS ! Vite, venez voir !

Ma voix effrayée résonne dans le vaste salon de notre appartement strasbourgeois, baigné avec magnificence des rayons du soleil éclatant du mois de juillet. Ce que je vois à la fenêtre dépasse de loin tout ce que j'avais pu imaginer jusqu'alors ; et pour cause, la violence qui commence à faire rage dans les rues dépasse elle-même l'entendement d'un jeune homme de mon âge. »

– T'as trouvé quoi, p'pa ? demande le fils fébrile, trépignant d'impatience derrière lui.

– Un vieux livre, ta mère a certainement dû l'entreposer ici il y a un moment. Viens, on va finir de décorer le sapin.

– OUAAAAAIS !!!

Le fils redescend les marches en trombe. Juan se relève et referme le livre. Alors qu'il allait le reposer sur le coffre, ses yeux verts s'arrêtent sur la couverture ouvragée, en un regard stupéfait.

« A los Ducyprès Carranza, mi familia querida. Los Meandros del Pasado, escrito por Maximilien Ducyprès, 1927. »

– De l'espagnol ? Mais que...

Lepère de famille traduit instinctivement. Aux Ducyprès Carranza, ma familleadorée. Les Méandres du Passé, écrit par Maximilien Ducyprès, 1927.

Les Méandres du Passé - RomanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant