V. Nathalie

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Paris, 1er janvier 1882

– Ah non, François, j'offre la tournée ! C'est mon premier Nouvel-An depuis dix ans, ça se fête ! s'exclame mon père en tapant violemment le dos de notre cher ami François, particulièrement pompette, décollant presque de sa chaise. FAITES SAUTER LE CHAMPAGNE !

Le serveur du restaurant le regarde d'un air amusé et fait sauter le bouchon de la bouteille pétillante d'un geste professionnel pour nous servir François et moi, et mon père qui le boit d'un trait. Je pouffe de rire.

– Ah, vous deux...

– Je t'assure, insiste François, le prochain restaurant, c'est moi qui te l'offre, Martin.

Mon père lève sa flûte de champagne nouvellement remplie, cette fois complètement éméché, puis il s'écrie :

– À l'année 1882 !

Nous trinquons joyeusement. Je les questionne :

– Alors, que comptez-vous faire, cette année ?

François me répond :

– Eh bien, continuer à profiter de ma retraite et à t'aider à la boulangerie ! Que serait Paris sans tes viennoiseries ?

Mon père retrouve tout son sérieux quelques instants.

– Moi, je veux juste une année simple, sans violence, paisible quoi ! Et puis je suis toujours lieutenant-colonel, même si je suis proche de la retraite. Je vais rester quand même encore un peu en service dans la Légion étrangère !

Il éclate d'un rire cristallin sans raison apparente et se sert de nouveau du champagne.

– Ah, quelle boisson... hic ! Délicieuse !

François pleure de rire devant l'effarement des tables voisines.

– Allons, Martin, je vais aller payer l'addition, on va rentrer.

Je regarde, amusé, mon père qui a tellement bu pour fêter la nouvelle année qu'il peine à tenir debout. Nous suivons François jusqu'au comptoir où il règle l'addition. Le serveur nous dit, tout sourire:

– Bonne soirée, messieurs. Et bonne année !

Je le remercie :

– Merci, vous de même. J'espère que nous ne vous avons pas causé trop de tracas.

Le serveur éclate de rire :

– Non, et puis c'est le Nouvel An, il faut en profiter comme vous le faites, messieurs !

Mon père rajoute, totalement ivre :

– Délizzzieux repas ! Haha, ha !

Je le pousse vers la sortie.

– Bon allez papa, on y va !...

Nous marchons tous les trois, hilares, bras dessus bras dessous sur les quais de Seine, soutenant tant bien que mal mon père n'ayant que trop profité des bienfaits de notre civilisation retrouvée. Nous divaguons sur les pavés, mon regard s'attarde quelque peu sur le magnifique ciel étoilé de minuit qui se reflète sur l'eau limpide du sinueux fleuve parisien, quelques lumières de bâtiments haussmanniens illuminant les rues de la capitale.

– Et toi, Maximilien ?

Je tourne la tête vers François, l'air interrogatif.

– Comment ça, moi ?

– Que comptes-tu faire, cette année ?

– Je pense que je vais rester encore un peu dans l'armée, surtout après ma promotion. Tu te rends compte, grâce à Romain Rivière, on vient de me nommer lieutenant-colonel ! D'ailleurs, il a décidé de prendre sa retraite ; c'est bien dommage, je l'aimais vraiment bien. Je me demande s'il habite sur Paris...

Les Méandres du Passé - RomanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant