Amberly

— Elena, Amberly !

Poussant un soupir, je relève la tête et jette un coup d'œil en direction de ma préceptrice assise à mon bureau en train de corriger mon dernier devoir de Géographie.

— Pensez-vous que cela soit important pour que ma mère m'interrompe en pleine heure d'étude ? je la questionne d'une voix dubitative.

Comme à son habitude, Mrs. Zimmer m'adresse son sourire doux et chaleureux :

— Je pense que le meilleur moyen de savoir est de descendre voir cela par vous-même.

Je ferme le livre laissant les aventures du roi Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde de côté. Je regagne le couloir d'un pas rapide, prête à descendre. Je croise ma sœur aînée en chemin. Vu sa tenue, je suppose qu'elle était en plein cours de danse. Classique, bien évidemment.

— Je me demande ce que Maman peut bien avoir à nous dire, dit-elle tandis que nous descendons les escaliers.

— Aucune idée, probablement la politique et les mondanités, je soupire.

Je ne peux réprimer le petit air de dégoût qui se dessine sur mon visage rien qu'à cette idée. Ma sœur me répond d'un rire. Elle sait à quel point je déteste tout ce qui concerne les événements politiques et mondains et donc, par extension, les Royaux dont nous faisons parties à mon plus grand désarroi.

Je sais que cela peut paraître insensé dit ainsi, mais croyez-moi quand je vous dis que j'aurais préféré naître parmi les Travailleurs et faire partie de leur classe. Cela m'aurait permis d'avoir une vie normale, une famille normale et des amis normaux. Ma mère, pourtant aimante comme mon père, ne comprend pas ma façon de penser et n'a jamais adhéré à mon choix de fréquentations lorsque j'étais scolarisée. J'avais tendance à aller vers les gens plus plutôt que les gens riches proches de ma position.

Les ragots n'en finissaient pas, surtout lorsque mon couple avec Kyle Woodwork, fils de Travailleurs, a été mise au grand jour. Ma mère m'a instantanément retirée de l'établissement. Tous, hormis mon père, pensaient que Kyle et moi allions finir par nous séparer mais notre amour a tenu, malgré les ruses de ma mère pour nous séparer.

Cependant il faudra bien qu'elle finisse par lâcher l'affaire. Peu m'importe qu'il y ait des prétendants et peu m'importe que ces derniers soient barons, vicomtes, comtes, marquis, ducs, ou princes. Pour moi ils sont tous aussi bêtes et superficiels les uns que les autres. J'ai eu l'occasion d'en rencontrer certain lors de la grande fête organisée en l'honneur de mes dix-huit ans il y a quelques jours, par ma mère qui espérait probablement un miracle et me voir fiancée avant la fin de la fête.

Malheureusement pour elle, je ne suis pas ma sœur Elena. Là où je déteste les événements avec des centaines d'invités auprès desquels il faut être courtoise et souriante, ma sœur, elle, adore ça. Particulièrement être le centre de l'attention et faire languir les garçons. En même temps, il y a de quoi. Elle a toutes les qualités que l'on peut espérer trouver chez une princesse de nos jours : digne, belle, intelligente, bien élevée, talentueuse et très maniérée. Ce qui ne m'empêche pas de l'adorer et réciproquement.

— Ah, vous voilà !

Je sursaute, rappelée à la réalité.

— Tu voulais nous voir Maman ? demande Elena.

— Oui. Votre père et moi avons à vous parler.

Ma sœur et moi échangeons un regard intrigué. Notre mère nous invite à nous asseoir face à eux. Son visage rayonne de satisfaction, de fierté et de joie. Je me demande ce qui peut bien la mettre dans cet état. Elle attrape deux petites enveloppes qu'elle nous tend. Nos noms sont écrits au dos dans une écriture fine et élégante. Toutes deux sont scellées par le sceau royal que je reconnais comme étant celui de la famille McCallister.

— Vos invitations pour le bal de Noël organisé en l'honneur du vingt-troisième anniversaire de son Altesse Royale, le Prince Aydan McCallister, nous explique-t-elle sans même nous laisser le temps de les ouvrir.

²Parfait. Je ne pouvais pas rêver mieux. Cela fait trois ans que je ne suis pas retournée à la Cour du Nord de l'Europe, et deux ans que je n'ai pas vu cette partie éloignée de ma famille. Eloignée car, techniquement ma mère et la reine Ludivine sont cousines, mais pas au premier degré. Nous ne les voyons que très rarement et, honnêtement, cela me va très bien. Entre le fils aîné, souvent imbu de sa personne, et la mère véritable donneuse de leçons, fanatique du protocole, de l'étiquette et des règles, je me sens vite mal à l'aise en leur présence.

— Il va falloir que nous nous préparions vite, dit ma mère me sortant une fois de plus de mes pensées, le bal est supposé avoir lieu dans cinq jours. Nous partons demain.

Je manque d'avaler de travers. Ma mère me lance un regard réprobateur.

— Nous sommes attendus à la Cour au plus vite, poursuit-elle. D'autant plus qu'il y a plus qu'une question de simples festivités en jeu. (Les lèvres étirées en un sourire, elle se penche vers nous :) Toutes les princesses d'Europe du Nord et du Sud ont été conviées pour voir si l'une d'elles a une chance de devenir la future Reine d'Aydan.

Un frisson me parcourt l'échine à l'entente de ses mots. Mon père me jette un regard complice :

— Ne t'en fais pas ma puce. Ta mère a plus d'espoir pour ta sœur que pour toi en la matière.

L'intéressée lui assène une tape sur le bras.

— Arrête tes bêtises voyons. Avec tous les bons partis qui seront présents, nos filles ont toutes les deux une chance de faire un bon mariage.

— Je me moque du parti qu'elles épouseront tant qu'elles sont heureuses.

— Rien d'étonnant, tu n'as pas grandi au sein d'une famille royale, rétorque ma mère d'une voix acerbe.

Aïe. Mon père se crispe dans son fauteuil. Je lance un regard furibond en direction de ma mère qui se contente de m'ignorer. Comme chaque fois, elle dégage la prestance de la royauté au sein de laquelle elle a grandi. Alors que mon père est issu de la simple noblesse, ma mère descend des souverains qui ont régné sur la division Sud de l'Europe jusqu'à présent. Et bien qu'ayant fait un mariage d'amour, cela ne l'a jamais empêché de jouer la carte de la supériorité vis-à-vis de mon père, chaque fois que l'occasion se présentait.

— Vous n'avez qu'à y aller sans moi, je resterai ici avec Kyle, je dis prête à prendre congé.

Ma mère bondit de son fauteuil :

— Hors de question ! Vos cousins proches et éloignés seront tous présents, je refuse qu'un jeune homme du peuple te prive d'un bel avenir.

— Et la consanguinité on en parle ? Tu refuses que je sois heureuse avec Kyle, eh bien moi je refuse de mettre au monde des enfants avec de graves troubles physiques et mentaux. (Elle s'apprête à rétorquer, mais je la devance :) Nous sommes au vingt-cinquième siècle, Maman. L'Ere de l'Ancienne Europe est largement révolue.

— Amber..., souffle Elena.

Je baisse les yeux vers elle. La lueur dans son regard me fait presque culpabiliser. J'inspire et expire tout en m'humectant les lèvres.

— Si je viens, je n'irai pas au bal.

Ma mère émet un rire jaune :

— Oh que si, tu iras.

Je me lève lentement sans lâcher son regard.

— C'est qu'on verra.

Le cœur battant, je quitte la pièce. Les voix de mon père et de ma mère résonnent dans mon dos. Les pas de ma sœur retentissent contre le carrelage tandis qu'elle court derrière moi.

— Berly ! (Je l'ignore.) Amberly Amélie Eugénie ! (Je m'arrête. Elle m'attrape par le bras et me retourne face à elle.) Il faut que tu viennes à ce bal, dit-elle parfaitement sérieuse.

— Elena, je...

— Il le faut. Peut-être que tu étais trop petite pour t'en souvenir, mais... (Elle jette un coup d'œil furtif par-dessus son épaule et soupire.) Aydan et Ethan ne sont pas n'importe qui. Nous ne sommes pas n'importe qui. Une union maritale avec l'un ou l'autre ne pourra qu'être bénéfique pour tous les partis concernés.

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Les Royaux (Livre 1) - SLOW UPDATEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant