61. Donne-moi une raison pour te laisser partir

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Cachée derrière son dos, l'arme leste sa main d'un poids beaucoup plus conséquent que cette fine lame de cuisine ne devrait le faire. La culpabilité, la peur et un sentiment de révolte en entachent déjà les bords. Il inspire un grand coup pour se défaire de ces émotions qui parasitent sa logique.

En vain.

Elles rongent ses résolutions. Érodent son courage. Corrodent sa volonté.

Ce qu'il s'apprête à faire est bien. C'est la seule solution. La plus sécuritaire pour elle. À lui d'être fort et de masquer son désespoir derrière ce sourire angélique, glaçant de bonté désintéressée.

Il détaille les petits objets qui remplissent un vide-poche en céramique noir pour dérober quelques secondes de plus à l'inévitable. Un trombone doré, une épingle, quelques élastiques aux couleurs fluorescentes, des pièces de monnaie, un porte-clefs orné d'une licorne à paillettes...

Il rabat ses mèches derrière sa tête, un geste en voie de se transformer en tic tant il le fait souvent, puis se lance dans la dernière ligne droite :

- La vérité, c'est que dieu s'est foiré dans les largeurs. Sa logique n'allait pas plus loin que le scénario de base généré par ses idées démesurées.

Les nuances de rose qui rehaussent la forme délicieuse des lèvres de son Aimée s'évanouissent alors qu'elle les plisse et que ses yeux gris deviennent encore plus grands qu'à l'habitude.

Un fléau percute son estomac. Être amoureux est si douloureux.

- Qu'est-ce... qu'est-ce qui s'est passé ? articule Haydn, la voix éraillée par les grains de sable saupoudrée par la peur.

Espérant transpirer le calme et la désinvolture, il poursuit :

- D'abord, les humains se reproduisaient plus rapidement que les Anges. Beaucoup plus rapidement ! La population des Êtres de lumière ayant drastiquement diminué pendant la Grande révolte, c'était déjà un problème. Mais dieu y a pallié en utilisant les Âmes de défunts qui avaient atteint un certain niveau de bonté pour devenir Custos. Une de ses plus belles idées je trouve. Même si au départ, c'était pour envoyer des Anges missionnaires sur Terre pour convertir les Hommes...

- Est-ce que tu veux dire... Jésus ?

- Lui, Jéhovah, Mahomet, Siddhartha Gautama et bien d'autres... Tous des Êtres immatériels...

- Hey tu parles de réincarnation, là ?

- Oui.

- Wow, c'est incroyable ! Vraiment... tu n'imagines pas ce que ça représente pour moi de savoir que les Âmes sont immortelles.

Ça y'est, sa curiosité a pris le pas sur sa frayeur. S'il peut la tenir en haleine assez longtemps...

À pas mesurés, il s'avance vers Haydn qui vient de se lever dans son enthousiasme. Ses yeux scintillent comme des agates sombres et le contraste avec ses joues empourprées d'excitation le ravit malgré la gravité de la situation. Il approche son visage du sien jusqu'au point de non-retour, cette ligne invisible au-delà de laquelle ils ne pourront s'empêcher d'unir leurs bouches.

- Oui Cara, je sais que tu penses à tes parents, souffle-t-il en goûtant la douceur de ses cheveux lorsqu'il replace une de ses mèches derrière son oreille. Mais ce n'est pas tout à fait exact, rappelle-toi qu'une Âme peut s'éteindre.

- C'est vrai, mais tu m'as dit que c'était rare.

Il hoche la tête en guise de réponse, ne voulant pas nourrir ses espoirs quant à ses chances de revoir son père et sa mère. Parce que lorsqu'il aura disparu à l'orée de sa conscience, cette possibilité doit mourir avec son souvenir.

DissonancesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant