53. Ces images que tu peins dans ma tête

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Ses paroles laissent une pellicule de givre qui se dépose sur mes vêtements. Je frictionne mes manches de mes mains. ̶M̶e̶s̶ ̶s̶e̶n̶t̶i̶m̶e̶n̶t̶s̶ ̶t̶r̶e̶m̶p̶e̶n̶t̶ ̶d̶a̶n̶s̶ ̶l̶e̶ ̶s̶a̶n̶g̶.̶ ̶Haziel a bien fait de couper court à ce... moment.

Cette intimité n'avait pas sa place.

Un écho diffus emplit l'air et enfle, annonçant le train qui me ramènera chez moi. Peut-être que l'ouïe de Haziel est plus fine que la mienne au final. Nous y entrons sitôt que les portes argentées s'ouvrent en libérant ses otages et je m'affale sur le premier siège en plastique moulé du bord, indifférente à la quinzaine de personnes qui m'entoure. Mon compagnon demeure debout près de la sortie qui se referme dans un chuintement.

Je n'essaye pas de reprendre la conversation. Ni de croiser son regard. Pas plus que de rétablir quoi que ce soit entre nous. Tout ce que je souhaite, c'est de rentrer au plus vite. M'enfouir sous ma couette et m'abrutir dans le sommeil pour oublier les dernières heures. Seulement, chaque cellule qui compose mon corps est sous tension et m'appelle à la déraison. Avec un peu de chance, il me reste de quoi forcer l'endormissement dans ma collection de pilules...

Je m'abîme dans la contemplation des murs du tunnel de béton, lâchant la bride à mes pensées conscientes pour laisser place à la langueur du vide. Un poids doux se dépose sur mes épaules. Je lève la tête et Haziel répond à mon interrogation muette en deux mots :

- Tu trembles...

Je resserre les pans son manteau de laine imprégné de sa délicieuse odeur. Clairvoyant comme il est, il doit se douter qu'une épaisseur de vêtement supplémentaire ne changera rien. Le froid qui m'égratigne la peau ne provient pas de l'extérieur.

Je ferme les paupières en retenant un soupir. À l'abri derrière mon voile d'obscurité, je m'abandonne aux secousses du métro qui bercent mon âme écorchée. Ça me rappelle Montréal. Montréal, dans le temps où je me sentais en sécurité un peu partout. Ce temps où ma vie, mes pensées et mon cœur vivaient tous dans une seule dimension. Le mal du pays m'étreint. Ma famille me manque me manque me manque me manque. Même l'idée d'une chicane avec Franz est réconfortante !

Peut-être est-ce le moment d'y retourner...

Le train ralentit en feulant dans ses rails. Des gens sortent. Personne ne monte. Un mouvement d'air charrie les subtilités du parfum d'Haziel. Il s'est déplacé face à moi. Je n'ouvre pas les yeux.

- Je suis désolé pour l'incident de tout à l'heure... Je serai plus vigilant, me promet-il.

Cette. voix. qui. a. le. pouvoir. de. se. distiller. dans. mon. essence.

Je ferme les volets de mon âme.

- Comment ça fonctionne ? Comment tu peux savoir ce qui se serait passé ce soir avant même que je n'aie l'idée d'entrer dans ce magasin ? Je veux dire, si tu ne m'avais pas mise en garde, je ne me serais peut-être pas arrêtée dans celui-là précisément. C'est paradoxal.

Les secondes s'égrènent. Il ne me dira rien. J'étouffe ma déception. Quelle surprise !

- On appelle ces visions des Praecognitionis, énonce-t-il alors que je n'attends plus de réponse. Des précognitions...

Arrgh ! Si je retourne en clinique, ce sera de la faute d'un Archange et non d'un démon cette fois !

- C'est comme ça pour vous tous ? je m'informe sur le ton de la conversation malgré mon irritation, genre, tout le monde est musicien dans votre famille ?

- Tous les Custos possèdent ce don qui se lie au futur de son protégé à la Fusion.

- La Fusion se produit à l'adolescence, je me demandais... les enfants n'ont pas de Gardien ?

DissonancesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant