Chapitre 1 : L'arnaque parfaite

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« Zoe Kardashian ! »

Il n'y a que trois jours dans l'année où mon oncle José Pouillot, agriculteur de son état et producteur de fromage de chèvre, ne prend pas son tracteur pour aller s'enquérir de l'état de ses bêtes : le premier janvier, le 11 novembre, et le jour de la Saint Jean, le 24 juin. Ces jours-là, jours de fête et de commémoration pour certains, simples jours fériés pour d'autres, représentent aussi ses trois uniques grasses matinées annuelles.

Ces quelques faits expliquent probablement pourquoi il a l'air particulièrement contrarié en cette matinée d'été, et très déterminé à exprimer son mécontentement en me hurlant dessus.

« Maëlle ! As-tu fini de brâmer ? Y'en a qui dorment, ici ! braille-t-il en ouvrant en grand ses volets, exhibant au grand jour ses bras maigres et ses épaules décharnées à peine couvertes par un marcel grisâtre.

-Zoe Kardashian ! je répète, encore sous le choc.

-Mais tu crois que j'en ai quelque chose à cirer, de ta Zoe Kardatruc ? Je ne peux dormir convenablement que trois matins par an, et toi, toi... Eh, j'ai pas fini ! »

Je tourne les talons et je traverse la cour de sa ferme pour rejoindre la boulangerie dans la rue d'en face ; l'unique rue composant la bourgade de Champigny-sur-Poitou.

Champigny-sur-Poitou. Population : 50 âmes selon le dernier recensement de l'état. Distance avec la première ville de plus de mille habitants : une heure et demie de route. Bâtiments notables : une église ; un vieux château du Moyen-âge dont il reste trois pierres à tout casser ; et la supérette de Ginette, qui fait aussi bureau de tabac, café, relais colis et bureau de poste. Ah, et la boulangerie de Maëva, bien entendu.

Bref, un véritable trou perdu.

« Tu es en retard, note mon amie boulangère. Quand tu rates la sortie des baguettes du four, c'est qu'il t'est encore arrivé une bricole. »

En guise de réponse, je pose la bombe que je tiens entre les mains sur son comptoir avant de saisir ma baguette et d'en engloutir le croûton pour me calmer. Il ne s'agit que d'un mail fraîchement imprimé grâce à la vieille photocopieuse de la mairie, mais j'ai l'impression qu'il pourrait m'exploser à la figure d'un instant à l'autre.

Les yeux clairs de Maëva, réputés pour rameuter des gens venant de jusqu'à vingt kilomètres de distance dans sa boulangerie, parcourent la feuille que je viens de déposer devant elle. Finalement, un ricanement s'échappe de ses lèvres.

« Je t'avais dit qu'un jour, cette arnaque-là t'exploserait en pleine figure.

-Merchi du soutien, hein ! je grommelle, la bouche encore pleine de baguette avant d'avaler ma bouchée tout rond. Qu'est-ce que je vais faire ? »

Je jette un coup d'œil apeuré à la feuille, comme si elle allait me mordre. Les mots imprimés n'ont pas de dents, mais c'est tout comme.

De : zoe.kardashian@agent-personnel.com

Zoe Kardashian a le plaisir de vous confirmer sa présence à votre mariage le 24 juillet et souhaite par avance à Maëlle Miles et Ludwig Jones ses meilleurs vœux de bonheur. Prière de fournir par avance...

« Maëlle Miles et Ludwig Jones... Laisse-moi deviner, c'est la version américaine de vos noms ? Blanchard et Touillot ne sonnaient pas assez vendeur ? » pouffe Maëva tandis que je la fusille du regard en mâchonnant furieusement ma baguette.

Evidemment, je ne vais pas me marier. Ce n'est pas à vingt-et-un ans et toutes mes dents (enfin, si on oublie la moitié d'incisive que j'ai perdu lors d'une rencontre malencontreuse avec la tireuse à lait de l'oncle Pouillot quand j'avais huit ans) que je vais faire une telle chose. Non, j'ai de bien meilleurs projets. J'ai encore du mal à définir ce qu'ils sont exactement, mais une chose est sûre : aucun n'aura lieu à Champigny-sur-Poitou. Dès que j'en aurai l'opportunité, je me tirerai d'ici.

Le mariage archi-faux de Ludwig et MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant