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Deux mois après l'ouverture du chat, qui est un franc succès, Lou et Rêveur sont toujours en contact.  Leurs échanges, hésitant au départ, sont devenus francs et ouverts, charmeurs aussi.  Ils passent des heures à discuter, parfois jusque tard le soir, et Lou, bien que n'ayant jamais été aussi fatiguée de sa vie, n'avait plus été aussi souriante depuis plusieurs mois.

— Il va bien falloir que tu me présentes ton Rêveur un de ces quatre.  Ça doit être un sacré coup pour te mettre dans cet état tous les soirs, lui dit Emma, sa meilleure amie.  Ah mais non attends, c'est vrai, j'avais oublié que tu refuses encore et toujours de le rencontrer !

— Arrête donc de te moquer de moi, tu veux ?  C'est un homme absolument charmant, mais je ne suis pas certaine que ça soit une bonne idée de le voir.  Imagine un peu que je ne lui plaise pas ?  Il a une vie sociale riche tu sais, et moi, eh bien moi je suis plutôt introvertie et je ne sors pas des masses.  Je ne suis vraiment pas certaine que ça puisse fonctionner en dehors du cadre « Internet », lui répondit-elle en imitant des guillemets avec les doigts.

— Allons, Lou, tu exagères.  Tu n'es pas non plus antisociale.  À t'entendre, on penserait que tu es une vieille fille qui vit avec six chats.

— Il ne me manque que les chats au final...

— Mon cœur, lui dit Emma sur un ton exagérément paternaliste, rencontrer ce bel inconnu, en espérant effectivement qu'il soit beau, serait déjà un premier pas vers la socialisation.

Elle fit jouer ses sourcils, tel le pervers moustachu des vieux films comiques en noir et blanc.  Lou ne put s'empêcher de rire, de secouer la tête et de lui faire signe avant de sortir de son box pour retourner dans le service financier où elle travaillait.

Cela faisait plusieurs fois que Rêveur lui proposait de se rencontrer, mais elle trouvait toujours un moyen de se débiner.  Emma l'encourageait dans l'autre voie.  La vérité, c'est que Lou était morte de peur.  « Et s'il ne me trouve pas belle, pas assez mince, stupide ? » se demandait-elle souvent.  Non, elle ne voulait pas vraiment vivre une expérience traumatisante de la sorte, pourtant, elle voulait vraiment le rencontrer, et elle devait se rendre à l'évidence, il n'allait pas l'attendre éternellement.

Elle ne put s'empêcher de se remémorer son premier rendez-vous avec Stéphane, son ex, celui qui lui avait brisé le cœur et en avait piétiné allègrement les morceaux.  Il avait été tellement charmant, tellement gentil.  Il avait l'air si doux et si fragile.  Il mesurait un mètre quatre-vingt-un pour septante-huit kilos.  Il n'était pas vraiment athlétique, mais plutôt agréable à regarder quand même.  Il avait un visage qui inspirait la confiance, aux traits doux, des yeux bruns, comme ses cheveux.  Somme toute assez banal au final, pourtant, Lou était tombé sous son charme dès qu'elle l'avait vu.

Il lui avait fait le coup du gentil garçon, et elle était tombé dans le piège comme une bleue.  Les premiers mois avaient été idyllique.  Il passait tout leur temps ensemble, et au bout de quatre mois, Lou avait emménagé chez lui.  Elle avait encore son appartement, mais elle n'y allait plus que pour relever le courrier.  C'est à partir de là que les choses avaient dégénérées, et pourtant, ils étaient encore restés deux ans ensemble.

Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas le bel homme qui venait face à elle.  Lui-même ne regardait pas vraiment où il allait, aussi se percutèrent-ils de plein fouet.

— Oh, pardonnez-moi Mademoiselle, j'étais ailleurs je pense.

— Il n'y a pas de mal, répondit Lou avant de lever les yeux vers ce bel étalon.  Sacha Ador, le fils du grand patron, se tenait devant elle, la main tendue pour l'aider à se relever.

Est-ce que la roue tourne vraiment? (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant