Chapitre 1 ~ Scared

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J'ai toujours appris à me débrouiller seule. Et pour cause: je n'ai jamais vraiment pu compter sur quelqu'un, même sur mes parents. Du moins, jamais entièrement. De plus, je crois avoir toujours été la plus grande de l'orphelinat dans lequel je me trouve, on ne s'est donc jamais complètement attardé sur moi et on m'a toujours forcé et obligé à agir "comme une grande". C'est ce qu'on me répétait. Et avant d'atterrir ici, la seule chose sur laquelle je m'appuyais, c'était ma peluche, à qui je racontais absolument tout et qui m'a ensuite été arrachée. Comme tout ce qui m'appartenait.
Aujourd'hui, je suis heureuse. Enfin, j'essaie de m'en convaincre et de positiver. C'est ce que m'a dit un jour un des employés avec qui je m'entendais bien : « être heureux est un choix.» m'avait-il expliqué, alors que je broyais sans cesse du noir. Évidemment, il n'est pas question de nier notre réalité, qui est loin d'être facile, mais juste de savoir faire la part des choses, et regarder notre situation dans sa globalité, pour peut-être essayer de rendre nos pensées plus agréables.
Maintenant par exemple: j'ai un toit, on me nourrit, la nouvelle directrice de l'endroit est plutôt sympa, et j'ai une ribambelle de petits colocataires (si je peux les appeler comme ça) , le plus grand ayant eu treize ans il y a un mois tout juste.
Assise sur mon lit, je coche une case sur le calendrier que j'ai moi-même confectionné à mes heures perdues, lors de mes récurrentes nuits d'insomnie. Demain, ce sera à mon tour de souffler mes bougies... Encore faudra-t-il qu'il y en ait.
J'affiche un petit sourire satisfait. Dix-huit ans. Ma liberté me sera enfin rendue. Plus ou moins.
Une petite tornade me saute soudain sur les épaules en criant mon surnom et se penche pour regarder ce que je fais.

- Je veux le même Ka' ! Moi aussi je veux compter, comme toi ! Je veux être grande, comme toi ! zozote-t-elle en se laissant retomber derrière moi, manquant de se prendre le dossier du lit.

Je l'observe par-dessus mon épaule, attendrie comme toujours par sa jolie bouille ronde, encadrée par une touffe de cheveux noirs et frisés. Elle a fermé les yeux et fait l'étoile de mer, rêveuse.

- Tu as tout le temps pour grandir Pearl ! Et tu seras bien mieux que moi! lui assuré-je en rangeant mon calendrier sous mon lit.

Elle baragouine quelque chose d'incompréhensible en se redressant.

- Je veux pas avoir le temps. Je veux être grande. fit-elle la moue. Pour faire plein de trucs de grands !

Elle m'arrache un sourire. Du haut de ses cinq ans, Pearl a la langue bien pendue et rêve déjà de faire des choses auxquelles moi-même je n'aurais jamais pensé. De nature extravertie, avide de connaissances, et pleine d'énergie, elle est ma petite préférée, bien qu'elle ne soit ici que depuis un an. Tout de suite, je l'avais en quelques sortes prise sous mon aile. Beaucoup n'avaient pas été tendre avec elle, notamment à cause de ses cheveux, qui lui ont valu des surnoms peu valorisants.
Au total, nous somme vingt-sept précisément dans cet endroit, douze garçons, quinze filles. Une « petite structure » d'après les mots de notre directrice. Il y a deux grands dortoirs, un au premier étage, celui des filles, un au second, celui des garçons. On est assez entassé.
Pendant neuf ans, j'ai côtoyé ce lieu, la même chambre, le même lit, sous la même fenêtre. J'ai vu mes voisines disparaître, des nouvelles apparaître, et moi, je n'ai jamais pu bouger d'ici. Raison pour laquelle je hais cet emplacement, synonyme de bien trop de moment de peine. Néanmoins, depuis l'arrivée de cette petite perle, je dois dire que j'ai appris à apprécier un peu plus ces bâtiments. Elle a souvent fini par s'incruster dans mon lit pour réussir à trouver le sommeil. En fait, elle est toujours collée à mes baskets, et je crois qu'elle a illuminé ma dernière année entre ces murs. J'ai trouvé en elle un certain réconfort, de quoi réchauffer mon cœur bien endurcit après toutes ces années où j'avais été résolue à ne réellement m'attacher à personne. On peut dire qu'elle a bouleversé tous mes plans, et maintenant que je vais partir d'ici, je le regrette un peu. Ça va me faire mal de la laisser elle, en particulier. Que va-t-elle devenir ? Jusqu'à maintenant, je l'ai toujours protégé, aidé, mais après... Qu'adviendra-t-il ? Tout est réglementé et stricte ici comme, je suppose, dans une grande partie des orphelinats. Pearl a beaucoup de caractère, elle s'est faite réprimander plusieurs fois pour son comportement considéré comme inadéquat dans diverses situations, que ce soit en classe, quand nous faisons nos tâches ménagères, ou aidons au travail dans la ferme d'à côté. Les sanctions sont parfois dures. Jusqu'ici, je les lui ai évitées...
Je me tourne vers elle pour de bon, et pose une main sous son menton pour l'obliger à me regarder.

Âmes-Jumelles ~ Tome 1 : AlchimieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant