La nuit fut calme et reposante. Au matin, Óralfur et deux autres inlendis nous accompagnèrent jusqu'au Loch des Combes. Ils nous prêtèrent un cheval. Fort heureusement, j'avais fait de l'équitation plus jeune, cela m'a bien servi. Les deux leprechauns ainsi que Danaginn montèrent avec moi. Cela faisait du bien de sortir de la forêt. Nous chevauchâmes environ une heure à travers une magnifique plaine avant d'atteindre les rives du lac.
Le Loch était immense, bleu-gris, entouré de falaises. Je me disais que cela aurait fait un splendide fond d'écran.
- Vous voyez là-bas ? nous demanda Óralfur en pointant quelque chose du doigt. C'est une petite embarcation à l'abandon. La voile est déchirée mais vous pourrez ramer. Il vous suffit de traverser le Loch, ensuite vous rentrerez dans une sorte d'estuaire qui serpente entre les falaises jusqu'à atteindre la ville abandonnée des Costes, juste avant de se jeter dans la mer Sigur.
- Très bien, lui répondis-je. Je vous remercie pour votre aide.
- Aucun problème. Nos chemins se recroiserons sans aucun doute. Bonne chance pour votre quête ! Puissent les routes vous conduire vers d'illustres destinées !
Nous fîmes nos adieux aux inlendis et rejoignîmes l'embarcation. Étant le seul à pouvoir manier les rames, je pris les commandes de la grande barque tandis que Glinfen m'indiquait la direction.
- Il s'appelait Ihulï, lâcha sobrement Danaginn qui n'avait pas dit un mot depuis la veille. La fée...
Nous restâmes silencieux.
- Il m'était très cher, poursuivit-il. C'était un valeureux guerrier et une fée respectable. C'était mon ami et je l'aimais profondément.
Il y eut une longue minute durant laquelle seul le clapotis de l'eau se fit entendre. Puis Danaginn reprit :
- Je ne comprends pas pourquoi il a décidé de voler la couronne, ça n'a aucun sens. On a dû l'obliger à le faire. Ou bien était-il sous l'emprise d'un puissant sortilège ! Et le morceau de vêtement que l'on a trouvé ? On aurait dû poser plus de questions au gobelin hier.
- On ne sait pas ce qu'il s'est passé, intervint Glinfen. Nous sommes vraiment désolés pour cette horrible perte mais on ne peut plus rien y changer. Il nous faut terminer notre tâche : retrouver la couronne et la rapporter à ton père.
- Oui, j'aurais simplement aimé connaitre la vérité...
Une nouvelle fois, un lourd silence s'installa. Je me contentai de ramer. Bien sûr, tout ceci me touchait mais ce sentiment était sans cesse interrompu par cette même pensée qui tournait en boucle : qu'est-ce que je fais ici ?
- Tu penses à elle ? questionna Danaginn en direction de Laufern qui avait les yeux dans le vague, comme cela était le cas depuis que nous avions quitté le palais d'Elenínn.
- Comment ça ? répondit le leprechaun.
- Nëlsínn, ma sœur.
Laufern écarquilla les yeux et se tourna vers Glinfen comme pour y chercher de l'aide. Mais ce dernier ne savait pas quoi répondre non plus. À vrai dire, personne ne s'attendait à cette question. Ça aura au moins eu le mérite de me sortir de ma torpeur.
- Euh... Pourquoi ? hésita Laufern.
- Tu l'aimes vraiment ? Tu peux me le dire maintenant. Ça reste une relation interdite mais après tout, que savons-nous de l'amour finalement ? On sait qu'il est important et c'est bien suffisant.
- Où veux-tu en venir ? C'est une histoire impossible de toute façon.
- Alors j'avais raison ! Intéressant... Vraiment très étranges les événements ces derniers temps. Tu sais, la couronne d'Envëil est très importante pour nous. Si nous la rapportons, il y a des chances pour que mon père ne vous voit plus comme des créatures abjectes. Peut-être même qu'il pourrait finir par vous respecter.
- Entre nous respecter et offrir la main de sa fille à un leprechaun, il y a quand même une sacrée marge !
- Qui plus est, ajouta Glinfen, mon père à moi ne verra pas cette union d'un bon œil non plus.
- Elle te manque ? demanda Danaginn comme si personne n'était intervenu.
Bien que surpris par le comportement du soldat fée et ses étranges questions, Laufern fit un infime mouvement de tête en signe d'approbation.
- Mon cœur brûle d'être si loin du sien, avoua-t-il. Depuis que mes yeux se sont posés sur elle, ils n'aspirent plus qu'à une seule chose : la revoir et ne plus avoir à la quitter. Le manque est si intense que parfois, j'ai l'impression qu'il va m'absorber tout entier. Et je maudis autant que je vénère le jour où le feu de l'amour a embrasé mon âme. Car désormais, je suis prisonnier de ses yeux, prisonnier de mon cœur dont je ne peux éteindre la flamme. Et je brûle, je brûle d'un amour si profond, d'un sentiment si pur, d'une passion si violente ! Savoir que cette union est impossible me consume nuit et jour. Je voudrais pouvoir modifier les règles du monde, déplacer les alignements des étoiles. Je voudrais pouvoir comprendre les lignes du destin et contrôler le temps. Je déplacerai les montagnes et les océans ! Je changerai les saisons et remonterai les heures ! J'attraperai la nuit, capturerai le soleil ! Je gravirai la voie lactée et marcherai jusqu'au bout de l'univers ! Si cela nous permettait d'être ensemble...
J'avoue avoir arrêté de ramer à un moment donné, tellement je fus absorbé par ses paroles. Et je n'étais pas le seul apparemment. Tout le monde dans le bateau resta abasourdi. Ce fut évidemment Danaginn qui rompit cet instant de silence très particulier.
- Ces paroles ont l'air très sincères et je ne peux que comprendre... Écoute, voilà ce que je vais faire : lorsque l'on rentrera au palais d'Elenínn, je parlerai à mon père. Je mettrai en avant vos exploits et soulignerai le fait que vous êtes tout à fait respectables et valeureux. Peut-être que cela pourra arranger les choses.
- Pourquoi ferais-tu ça ? demanda Glinfen. Quel intérêt pour toi ?
- Aucun. Mais cela pourrait être l'occasion de rapprocher de nouveau nos deux peuples.
- Tu penses que cela est possible ? Nos pères sont très têtus.
- À nous de leur prouver qu'ils ont tord.
Tout d'un coup, la barque reçut un choc, comme si nous avions percuté quelque chose. Pourtant, nous étions en plein milieu du lac.
- Qu'est-ce que...
Un nouveau choc fit tellement basculer l'embarcation que j'ai cru la voir se retourner. Nous étions tombés des petits bancs en bois et nous retrouvâmes sur le sol, nous regardant avec incompréhension et panique.
- Que se passe-t-il ? m'inquiétai-je. C'est quoi ?
- Je ne sais pas, répondit Glinfen, mais ça ne sent pas bon !
Nous nous relevâmes et observions le fond de l'eau sous notre coque. Une forme sembla se dessiner, puis une autre et une autre encore. Elles se rapprochaient de nous.
- LES SIRÈNES !!! hurla Danaginn.
- Les sirènes ? fis-je quelque peu décontenancé. Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Ça veut dire que nous sommes foutus !
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Les Contes Fantastiques de Will Murphy - Saison 1 : Feurëlfia
FantasySérie Fantastique, un épisode par semaine ! Tous les vendredis 17h ! "Mais qu'est-ce qu'il se passe ? Où suis-je ? Comment j'en suis arrivé là ? Je m'appelle Will Murphy et, sans rien demander à personne, je me suis retrouvé coincé dans un monde ét...