Chapitre 3 : Le nouveau

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Voilà plus d'un mois que je viens dans ce lycée sans savoir pourquoi. Les cours sont chiants, les profs sont nuls, les mecs de la classe sont moches ou cons, et parfois les deux en même temps, les filles ne me calculent pas sauf une, justement celle que je voudrais qu'elle me lâche.

À la maison, ma mère déprime et me tombe dessus pour un oui pour un non. Elle fait même plus les courses et parfois, on se retrouve avec rien à manger. Je vais alors chez ma grand-mère qui m'engueule aussi parce que, à mon âge, je devrais prendre soin de ma mère qui va mal.

Quelqu'un me demande, à moi, si je vais bien ? Merde ! J'ai les seins qui pointent et je n'aime pas ça. Je voudrais être un garçon et voilà que j'ai mes règles depuis quelques mois. En plus, elles vont et viennent comme elles veulent, j'arrive pas à prévoir. Et puis, à part les deux ou trois fois où ma mère était dans un état normal et où on est allées acheter des protections adaptées pour moi, la plupart du temps, j'ai été obligée de piquer les énormes couches de ma mère.

Est-ce que quelqu'un peut me donner envie de continuer sur cette route merdique !!!??!!!

Non, parce que si la vie est ce que je vois autour de moi, autant me suicider tout de suite, ça sera pas pire !

Voilà. Donc, aller au lycée chaque jour, c'est juste bon à me faire prendre l'air sur le trajet. Le reste, je m'en fous royalement.

Et oui ! Je pleurniche ! Je pense qu'au stade où j'en suis, j'en ai le droit. Limite le devoir, même !

— On dirait que tu fais toujours la gueule, me dit mon pot de colle.

Comment ne pas avoir envie de la gifler ?

— Parce que je fais tout le temps la gueule, ouais, c'est ça. Ça te pose un problème ?

— Non, mais si tu souriais, les gens viendraient sûrement te voir plus facilement. J'ai entendu des garçons le dire.

Elle s'appelle Édith, c'est un fil de fer sans formes avec des bagues sur les dents, des cheveux noirs lisses coupés comme ça se fait plus depuis un siècle. Elle a des fringues sympas mais elle est moche quand même. Son visage est ovale comme ça devrait pas être autorisé, une petite bouche qui s'ouvre à peine quand elle parle et une voix aiguë, désagréable. Même les profs ne l'interrogent jamais pour ne pas l'entendre. Pourtant,elle lève toujours le bras pour répondre. La vie est mal faite !

Mais là, Édith m'a fait tourné la tête.

— Quels garçons ?

— Des garçons de première.

— Comme si tu connaissais des garçons de premières, toi !

— Mon frère est en première.Ses copains viennent à la maison, des fois, le mercredi après-midi.

Elle m'intrigue. Je la regarde comme si la découvrais. Je ne sais pas si c'est parce que je me suis habituée à la voir tous les jours ou si c'est à cause de ce qu'elle vient de dire, mais tout à coup, je la trouve moins moche.

— Et alors ? Qu'est-ce qu'ils ont dit ?

— Y en a un qui a dit qu'il sortirait bien avec toi sauf que tu as l'air trop conne.

Je la regarde sans comprendre comment elle peut me dire ça. Elle est conne, elle aussi, non ? Mais bon, par intérêt, je ne vais pas lui tourner le dos, pas tout de suite.

— Il est là ?

Je lui désigne la cour de récré du menton. Elle se tourne vers le coin où se stockent les premières à chaque fois, et elle fait oui de la tête.

— C'est lui, qu'elle dit en montrant un mec avec son doigt.

Elle mettrait un gyrophare sur son crâne allongé qu'elle serait pas moins discrète. Je tends la main et lui baisse le bras violemment.

— T'es conne ou quoi ! Tu veux qu'ils nous voient !

Elle rougit et baisse les yeux vers le sol.

Avec tout ça, je l'ai pas vu, moi,le mec.

— Comment il est habillé ?

Elle jette un œil vers le troupeau.

— C'est celui qui a une veste rouge.

Le plus moche, bien sûr. Il a des boutons sur toute la gueule et il est gros.

Du coup, je dis rien. Y a juste à pleurer, peut-être. Je me tire de là et commence à remonter encours alors que c'est pas encore l'heure. En avance ou en retard, de toute façon chacune de mes journées, c'est de la merde.

J'arrive dans la salle de cours et au lieu d'être vide, il y a un mec, assis au premier rang, son sac à ses pieds et le cul à peine posé sur un bout de chaise.

Je ressors, je vérifie le numéro de la salle : c'est bien ça. J'entre carrément.

— Bonjour, dit-il.

Je le regarde à peine et réponds tout juste, puis je vais m'asseoir à ma place. Il me suit des yeux.

— Tu es dans la seconde 2B ?me demande-t-il.

Il a une drôle de voix. Il n'a pas encore mué et elle est un peu perchée même si elle reste grave. Il a une peau bizarre, comme s'il s'était enduit de fond de teint au beurre. Il a de beaux yeux bleus et un nez fin qui part en pointe. Il est pas beau gosse mais il se pourrait qu'il le devienne, un jour.

— Ouais.

— Je suis nouveau. Je viens de déménager. Je m'appelle Angel.

— Nol.

On se regarde dans les yeux pendant quelques secondes. Je crois qu'il va dire quelque chose de plus et je ne veux pas être trop désagréable. Je me souviens de ce qu'a dit Édith, tout à l'heure, sur ma façon de ne jamais sourire. Du coup,j'essaye d'en faire un et je m'aperçois qu'elle a raison : je sais plus quels muscles actionner. Je ne sais pas à quoi ressemble la grimace que je fais mais bon, Angel sourit, c'est que ça doit pas être si mal. Et puis, c'est étrange mais ça me fait plaisir, de sourire. Va falloir que je réfléchisse à tout ça, moi.

Le signal de fin de récré retentit.J'ouvre mon sac, j'en sors les affaires de français et je taille un crayon.


Les autres arrivent. Angel se lève et va se placer à côté du bureau de la prof. Tout le monde le regarde. Il a l'air gêné.

Maintenant que je suis morte, je peux vivre comme je veux.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant