En fait, la journée est vite passée. J'ai pas eu peur que quelqu'un vienne me chercher et je suis donc restée assise dans mon coin. Les autres n'y ont vu que du feu, sauf bien sûr Angel et Édith mais ça va, ils ont pas trop insisté.
Un truc de fou : j'ai eu envie de rentrer chez moi, à midi. Je crois que j'ai accusé le coup et que maintenant que je vois que la vie continue, je me fais des plans de malade dans la tête.
Le soir, Angel me gêne. Je veux courir jusqu'à chez moi et j'ose pas, je veux pas attirer l'attention. D'ailleurs, ça serait bien que je passe chez ma grand-mère aussi, qu'elle s'inquiète pas de plus me voir.
Angel me quitte devant chez moi.
Je pousse la porte. Ça résiste toujours mais moins que la dernière fois. Le corps est un peu plus sur le côté maintenant.
Je rentre, je referme à clé et je reste là à regarder ma mère. La peau est grise et il y a de grosses mouches vertes qui tournent autour du visage. c'est carrément dégueu.
En pensée, je cherche le meilleur endroit pour la stocker, qu'elle soit à l'abri de regards. Le mien, surtout. Et puis il faut que je me renseigne sur la suite de la décomposition d'un corps. Mieux vaut prévenir que de mettre les mains dans... j'ai pas envie d'imaginer.
Sa chambre, parce qu'en fait, j'ai pas trop de choix. La maison n'est pas grande et y a pas de cave. On n'a même pas un congélateur où le corps tiendrait en entier. Et je me sens pas de le découper.
Bon, ce qui me dérange le plus, là, c'est cette flaque de sang. Elle est plus ou moins sèche, elle est visqueuse par endroits et croûteuse à 'autres. Je ne vois qu'un seul moyen de faire : je la traîne par les bras jusqu'à la chambre, pas sur le lit mais juste derrière la porte, que je puisse juste la refermer et oublier.
C'est ce que je fais. Les membres sont raides et ils craquent quand j'essaye de leur faire changer de position. Alors, en poussant, en tirant, en la faisant rouler de gauche à droite et de droite à gauche j'arrive à parcourir les mètres qui nous séparent de la chambre. Je la dépose, je referme la porte et constate les dégâts dans le couloir. Il y a une traînée de sang, noir, collant. Je nettoie à grand eau avec un max de produit, j'essuie, je rince, je vais même jusqu'à tout sécher avec une serpillière que je pousse avec le pied.
Puis, je me retourne enfin et ma mère à disparue, il n'y a plus de trace d'elle. Je jette un œil sur la porte de sa chambre, fermée. Je file prendre du gros scotch marron et j'en mets tout autour de la porte : il faut que la pièce soit le plus étanche possible pour que les odeurs restent dedans.
Et oilà ! Je me recule, regarde le résultat et sourit. C'est tellement simple. Dire qu'hier j'étais désespérée. Que je suis bête !
J'aibien mérité un bon repas ! Je vais me préparer une tonne defrites avec du ketchup et deux mauvais steak hachés congelés. Et dela glace en dessert. L'orgie !
Pendant qu'une deuxième portion de frites se fait, je vais manger la première devant la télé : je m'avachis sur le canapé. Le top ! Je zappe de série en série et le temps passe avec bonheur. Puis deuxième service, dessert et enfin, tard dans le nuit, j'éteins la télé et je reste dormir sur le canapé.
J'entends le réveil sonner dans ma chambre. Il est déjà l'heure de se lever.Je sais pas combien de temps j'ai dormi.
J'ai un peu froid, j'ai envie de pisser et j'ai des courbatures partout. Entre l'exercice physique d'hier et la nuit sur le canapé trop étroit pour s'y allonger totalement, je me sens un peu vieille, rouillée des articulations. Mais après quelques pas et une bonne douche chaude sous laquelle je pisse (d'une pierre deux coups) je me sens d'attaque pour ma nouvelle vie. Alors que je me coiffe devant le miroir, je souris. Je ne me souviens plus de la dernière fois où j'ai fait ça. D'ailleurs, sur le moment je me fige. Je me souriais jamais. Je souris jamais à personne.
Je prends mon petit déjeuner en essayant de me souvenir de mes gestes d'avant et je les vois, ternes, limités, prisonniers d'une envie de rien qui me collait à la peau.
Je bois mon café en regardant par la fenêtre. Je viens d'avoir une idée qui me donne de frissons de plaisir : j'ai envie d'inviter Angel à entrer, à passer devant la chambre de ma mère et lui faire visiter la mienne. Je sens que j'ai un large sourire en pensant à ça et j'ai la haine ! J'ai pas vécu jusque là ! J'ai jamais eu envie de faire des choses avec les autres parce que j'avais pas de liberté, j'avais pas d'espace autour de moi pour bouger sans que ma mère me tombe dessus, sans que ses mecs me tombent dessus, sans que les profs me tombent dessus, sans que ma grand-mère critique tout. J'ai rien fait parce que je me cognais sans cesse à toutes ces barrières invisibles et si blessantes que je voulais jamais en ressentir la douleur. Alors que celle de pas exister ne me faisait pas beaucoup plus mal. Une douleur presque indolore. Même si ça n'existe pas, c'est ça que je ressentais à chaque minute de mon ancienne vie. Un peu comme quand on a un bleu sur le corps et qu'on appuie dessus pour ressentir cette toute petite douleur.
Angel est devant la maison et s'assoit sur le bord du trottoir. Mon envie folle me passe. Je vais juste aller au lycée avec lui et sourire, aujourd'hui. Sourire, ce sera déjà assez surprenant pour tout le monde.
Puis tout à coup je comprends que je peux pas sourire. Les gens vont soupçonner quelque chose si je change de comportement. Non. Il faut que je soit comme avant. Et il faut que je prenne le temps de réfléchir à tout, sans précipitation.
Je sors et dis bonjour à Angel. Il me sourit.
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Maintenant que je suis morte, je peux vivre comme je veux.
Ficção AdolescenteL'histoire d'une ado mal dans sa peau qui va vouloir mourir jusqu'au jour où... C'est pas du tout ma vie, franchement, j'aimerais pas mais c'est trop délire d'y croire comme j'y crois. Suivez moi et partagez. Merci !