Chapitre 6 : Ma mère derrière la porte

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Depuis quelques jours, je fais le chemin du lycée avec Angel. On discute un peu, et je sais qu'il vit avec sa mère et un beau-père pas cool, con et méchant. Alors, je me demande si le maquillage n'est pas là pour cacher les traces de coups. Ma mère aussi se maquillait. Pas moyen d'en parler avec Angel, il passe tout de suite à un autre sujet.

Au lycée, il est souvent avec les garçons et j'en ai un peu la rage.D'ailleurs, hier soir, j'en ai eu marre et quand il a voulu rentrer avec moi, je lui dis qu'il n'avait qu'à rejoindre ses potes. Il a sourit et m'a fait remarquer que les jalouses se faisaient du mal à elles mêmes. Il a pas tort mais ça n'excuse pas.

Toute la nuit, j'ai eu peur qu'il ne m'attende pas, au matin. Mais non, il est là, assis sur le bord du trottoir, en train de gratter le sol avec un bâton. Ça m'a fait tout drôle de le voir. Mon cœur a accéléré et je me suis sentie aimée, attendue, importante aux yeux d'un garçon que j'aime.Ben ouais, parce que j'ai accepté d'être amoureuse y a pas de mal.

— Tiens ! Tu es arrivée à te faire un copain ?

Je n'ai pas entendu arriver ma mère. Je suis vraiment ailleurs, en ce moment. Elle est juste au dessus de mon épaule, en train de regarder par la fenêtre, elle aussi, et affiche un sourire moqueur. Dès que j'ai tourné la tête, elle m'a dévisagé.

— Eh ! Mais c'est qu'elle est amoureuse, l'imbécile ! Comme si un garçon pouvait s'intéresser à toi !

Elle tape sur la vitre, fort. Je deviens toute rouge et je crie.

— Maman ! Qu'est-ce que tu fais ! Arrête !

Je lui prends le bras pour stopper les coups contre le carreau. Immédiatement, sans que j'aie eu le temps de rien voir venir, je me reçois une gifle donnée avec sa main libre. Elle a une bonne gauche ! Ma joue me brûle. Et ma mère continue de taper à la fenêtre pour attirer l'attention d'Angel.

Il se retourne et ma mère lui fait signe de rentrer. Du coup, elle se dirige vers a porte d'entrée. Elle est vêtue une très vieille robe de chambre qu'elle a acheté d'occasion. Devant, le truc baille sur une poitrine en obscène qui m'écœure, sans parler de sa tronche avec une coiffure que je qualifierai d'aléatoire, pour ne pas dire merdique.

Et puis ma mère sent la vinasse et elle ne s'est pas lavée de deux ou trois jours, au moins.

Je ne vois pas pire scénario pour perdre la face avec Angel.

Alors, je ne sais pas comment j'ai pu faire ça, mais alors qu'elle va pour tourner la clé dans le serrure, je prends l'horrible vase sur le meuble de l'entrée, je le lève au dessus de la tête de ma mère et je l'abat dessus, le plus fort possible.

Ma mère s'effondre, j'ai un bout du vase encore dans la main, j'entends la masse du corps de ma mère frapper contre la porte, quelques morceaux du vase qui tombent au sol, un râle qui sort de la bouche de la femme à mes pieds et puis plus rien. Le silence, lourd, inquiétant, angoissant même, accusateur. Le temps s'arrête. La scène sous mes yeux n'est pas possible. Et pourtant.

Je sais qu'Angel est juste de l'autre côté. J'avoue ne pas savoir pourquoi je fais ça, mais je me vois pousser le corps de ma mère, je vois le sang qui coule de sa tête, je me vois tourner la clé,tirer la porte vers moi mais pas trop, pour ne pas qu'Angel voit ma mère couchée à terre, et je sors par l'entrebâillement.

Je souris. Il ne doit pas être franc, mon sourire mais il convainc Angel.

— C'est toi qui tapais au carreau ? me demande-t-il.

Il n'a pas vu ma mère ? Tout n'est pas perdu.

— Oui.

— Tu veux quelque chose ?

Il me regarde de la tête aux pieds.

— Tu ne restes pas chez toi, apparemment.

— Non.

Je referme la porte à clé derrière moi. Je pense à ma mère allongé et je sais que ma vie est foutue. Mais c'est étrange, faire comme tous les autres jours est rassurant. Au lieu d'appeler la police, l'ambulance ou je ne sais quoi, je me dis que si je fais comme hier et les jours avant, eh bien, tout va rentrer dans l'ordre et le vase sera à sa place quand je rentrerai ce soir.

Je le crois. J'ai des doutes mais je me dis que ça ne peut pas en être autrement.

Angel n'est pas dupe.

— Ça n'a vraiment pas l'air d'aller. Tu es sûre que tu viens au lycée ?

— OUI !

J'ai crié. Angel a un geste de recul.

Le reste de la journée est flou et en même temps très clair Rien n'a existé autour de moi et j'ai eu la crainte à chaque instant que le proviseur entre pour me demander de le suivre dans son bureau. Là, la police m'aurait mis des menottes et je serais allée directement en prison.

Mais en fait, pas du tout. Personne ne vient.

Pour la première fois, j'aurais aimé que les cours durent encore et encore. Je ne veux plus rentrer chez moi. Je sais que ma mère va me  tuer.

Je traîne des pieds et je voudrais partir loin avec Angel.

Je vois la maison au loin et j'ai envie de m'accrocher au bras d'Angel.

Et quand on arrive devant chez moi, c'est pire. Aucune lumière n'est allumée. Ma mère n'est pas là.

Pire.

Elle est peut-être morte, juste derrière la porte de la maison.

Angel me dit au revoir et je lis de l'inquiétude sur son visage.

— Ça va ?

Je réponds oui tout en regardant vers la porte d'entrée.

— OK. Je te laisse ?

C'est une question.

— Oui. À demain.

— À demain.

Ils'éloigne doucement tout en se retournant souvent. Moi, je m'approche de la porte. Angel n'est qu'à quelques mètres et je tourne la clé dans la serrure. C'est fermé. C'est rare que ce soit fermé à cette heure.

Angel n'a pas encore disparu au coin de la rue.

Je pousse la porte : il y a quelque chose qui bloque derrière, quelque chose de mou que j'arrive à pousser pour entrer.

Ma mère est là, baignant dans une immense flaque de sang poisseux, morte.

Maintenant que je suis morte, je peux vivre comme je veux.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant