Chapitre 9 : Les pelles amicales

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Cette soirée n'en finit plus. J'ai l'impression d'y être depuis deux jours. Je suis perdu. Je ne sais plus à quel sein me vouer. Mathis me soule avec ses histoires d'Instagram et de privilège Blanc. On dirait que ne pas avoir envie de sortir avec Clémentine est criminel. Et puis pourquoi est-ce qu'il a besoin d'afficher des gros culs de meufs sur son téléphone ? Pourquoi est-ce qu'il a autant besoin de montrer à tout le monde qu'il est hétérosexuel ? S'il était vraiment, il n'aurait rien à prouver à personne, non ?

Enfin... Si seulement Mathis était mon seul problème. La véritable cause de mon agacement actuel, c'est Estéban. J'en ai bien conscience même si j'ai du mal à l'admettre, et même si je comprends plutôt mal pourquoi ça me met dans cet état. La façon dont il se comporte avec Gaëtan, et ce gros baiser dégoûtant avec Haruka m'écœurent.

Déjà, Haruka, moi aussi, je la voulais. Mais bon. Vu qu'elle a à peu près le même regard d'illuminée que Clémentine, je dois dire que je suis pas mal refroidi.

Depuis le baiser, c'est-à-dire depuis environ vingt minutes, Estéban semble fuir Haruka et me jette des coups d'œil bizarres, Mathis est toujours cloué à sa terrasse, et moi, je suis dans un couloir, et je regarde les photos de famille de gens que je ne connais pas. Je crois que je vais partir. Ouais. Je finis mon verre et je me casse d'ici.

— Julien, je t'ai retrouvé !

Et merde. Clémentine. Encore elle. Son mascara a coulé. Sa coiffure est à moitié déformée, et elle titube. Elle aussi, elle devrait rentrer chez elle. Je souffle. Elle m'effraie, mais dans cet état, il pourrait lui arriver n'importe quoi. Peut-être que je devrais l'aider à trouver un lit ici, ou des toilettes.

— Tu as beaucoup bu ?

— Pas mal, ouais. Il me faut du courage.

— Du courage pour ?

— Pour ça !

Clémentine se retrouve collée à moi. Elle s'est téléportée. Il n'y a pas d'autre explication. Avant que j'aie le réflexe de réagir, elle m'attrape par le cou et plaque ses lèvres sur les miennes. Putain de merde. Si je la frappe, c'est de la légitime défense ? Il faut que je la repousse. Je n'ai pas envie de l'embrasser. Pas envie du tout. Elle essaye de mettre sa langue de ma bouche. C'est mouillé et visqueux. Ça ne me plaît même pas un peu. J'essaye de la dégager, mais elle résiste. Pris de colère, je la pousse un peu plus fort. Sa prise lâche enfin. Elle vacille.

— Putain, Clémentine !

— Tu me plais, Julien !

— Mais calme-toi ! T'es défoncée ou quoi ?

— Ce que je ressens, je sais que ça va pas à sens unique. C'est trop fort pour aller à sens unique. Alors pourquoi tu me rejettes ? T'as peur ? T'as peur de moi ? T'as peur de m'aimer ?

— Mais pas du tout ! Je ressens pas la même chose, c'est tout !

— T'aimes quelqu'un d'autre ?

— Mais j'en sais rien ! T'es super bizarre ! On se connaît à peine, alors pourquoi tu fais une fixette comme ça ?

— Parce que c'est à ça que ressemble un coup de foudre !

Je vais mourir ce soir, c'est sûr. Elle va sortir un couteau de son dos et me planter. Je vais crever. Je suis trop jeune, putain ! Si Dieu existe, c'est maintenant qu'il faut se manifester ! Jésus, s'il te plaît. Je te jure que j'irai à l'église.

— Ah Julien, je te cherchais partout ! Heu... Je suis super fatigué, là. Ça te dit qu'on s'en aille ?

Estéban ! Mon salut. Oh mon dieu ! Merci Seigneur ! Je vais devenir le plus grand de tous les chrétiens. Clémentine le regarde comme l'antéchrist. Moi, je veux me jeter dans ses bras. Toutes les rancœurs sont oubliées. C'est la plus belle personne que j'ai jamais rencontré de ma vie, à cet instant précis.

On s'était dit qu'on préférait les fillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant