Chapitre 12 : Fruit Sec lui va si bien

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- ... Stable... Bientôt réveillée... Famille bienvenue... De la famille ?

Je suis à l'hôpital. Je ne sais pas exactement comment j'y suis arrivé. Tout est calme. Tout est blanc. Le bruit des machines rythme le silence. Bertille n'a pas bougé de son siège depuis la dernière demi-heure. Les yeux fixés sur le sol, les lèvres scellées, le teint gris.

Je crois que je suis dans le même état. Je ne suis pas sûr. Il me semble que je me suis téléporté ici. Il me semble que le monde s'est arrêté de tourner depuis une heure. Je ne sens rien. Je ne sais pas si je devrais ressentir de la douleur, ou de la culpabilité. Je ne comprends pas ce que je dois faire. Il n'y a pas de guide qui explique les étapes à suivre quand on a poussé quelqu'un au suicide.

Je voudrais dire que je suis désolé, que je ne pouvais pas imaginer que les choses déraperaient autant, mais je suis incapable de produire le moindre son. Je voudrais qu'on m'accuse pour que je puisse pleurer ou me défendre. La peine ou la colère seraient bien plus agréables à supporter que ce vide qui me submerge.

Mon corps est tiré sur le côté. Quelqu'un m'attire dans ses bras. Je suis si gelé que cette chaleur ne me fait rien. C'est Mathis. Il est gentil.

- Ça va aller... C'est fini. Elle va bien.

- Ma faute...

J'ai du mal à parler. Je pleure. Je pleure depuis tout à l'heure, et je ne l'avais même pas réalisé.

- Mais non... Ça va.

- C'est ma faute. J'avais pas vu... Je savais pas... J'ai pas fait attention.

Des pas précipités traversent le couloir et s'arrêtent devant nous. J'ouvre les yeux. Il y a une femme qui s'abaisse au niveau de Bertille et l'enlace avec force. Puis elle relève les yeux et me fixe. C'est la mère de Clémentine.

- C'est toi, Julien ? demande-t-elle.

Je me râcle la gorge, et me détache de Mathis.

- Oui...

Elle sourit tristement, puis me tapote la tête. Je crois que j'ai besoin de voir ma mère.

- Je suis désolée de te faire porter un tel poids. Ça doit être difficile pour toi. Mon pauvre petit, tu es si jeune...

Je suis incapable de résister à la compassion qu'elle a dans les yeux. Je fonds en larmes. Je sanglote comme un gamin, la tête dans les mains. Des bras se posent sur mon dos. Je suppose que c'est Mathis et Bertille.

- Je suis désolé, madame. Je suis désolé. Je ne pouvais pas imaginer... Je...

- Ne t'inquiète pas. Ce n'est pas ta faute, Julien. Tu n'y es pour rien. Clémentine ne t'a jamais parlé de sa maladie ?

- Sa maladie ?

- Clémentine souffre de grave dépression depuis l'adolescence. Quand elle avait quinze ans, elle a développé un trouble obsessionnel sur un garçon de sa classe. Ses parents nous ont menacé de porter plainte, et on a dû la changer d'école. Il lui a fallu beaucoup de soutien, des médicaments et un psychiatre... Bertille l'a bien aidée à s'en sortir aussi. Et elle a fini par passer à autre chose, après plusieurs mois.

- Elle a réussi à gérer les choses à sa façon, explique Bertille en fixant la poignée de la porte, comme si elle s'attendait à la voir sortir. Elle tombe amoureuse facilement, de beaucoup de garçons. J'avais remarqué qu'elle parlait un peu trop de toi, mais je n'avais pas compris que ça irait si loin.

- Personne n'avait compris. C'est nous qui n'avons pas su gérer le problème, reprend la mère de Clémentine. Elle s'est beaucoup mieux cachée, cette fois-ci. Et elle prenait toujours son traitement, alors on ne s'est pas méfiés... Mais j'ai vérifié son téléphone, tout à l'heure... Je n'avais pas voulu le faire plus tôt parce qu'elle est adulte, maintenant, et que ça me met mal à l'aise de fouiller dans la vie de ma fille, comme ça. Enfin...

On s'était dit qu'on préférait les fillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant