// ONE SHOT //

- La Recrue -

Le sac de frappe émit un son étouffé lorsque pour la centième fois le pied droit de Mélia vint s'écraser contre son cuir. Seuls les coups que lui portaient la jeune femme, rythmés par le bruit saccadé de sa respiration, venaient rompre le silence de la salle d'entraînement à demi plongée dans l'obscurité.

Au dernier coup asséné, Mélia s'accorda une courte pause le temps de changer ses appuis et reprit une nouvelle série du pied gauche.

Cela était vite devenue une habitude depuis son enrôlement dans la 96ème Brigade d'entraînement : tous les soirs, durant le quartier libre qui précédait le couvre-feu, la jeune femme se glissait discrètement dans les couloirs pour rejoindre la salle d'entraînement. A une heure si tardive, elle était à peu près sûre d'être la seule occupante de cette vaste salle au sol couvert de nattes. Elle disposait de ce temps libre en travaillant ce qui lui faisait le plus défaut : sa force de frappe, les techniques de corps à corps et sa confiance en soi. Du reste, Mélia était naturellement dotée d'une agilité et d'une rapidité qui la classaient parmi les dix meilleures recrues en manœuvres tridimensionnelles.

Lorsque Mélia eut terminé sa série, elle ajusta les bandages autour de ses phalanges et poursuivit sur une série de frappes du poing droit.

Les derniers examens et mises en situation de la 96ème Brigade était dans un mois, la cérémonie de fin d'entraînement dans deux : le temps lui était compté.

Compte tenu ses acquis et son classement général, Mélia aurait pu se contenter de finir ces dernières semaines en fournissant un minimum d'effort : son classement lui assurait déjà une place dans la Garnison, peut être même au sein des Brigades Spéciales. Mais la jeune femme aspirait à tout autre chose, elle n'avait jamais eu qu'un seul et unique objectif : intégrer le Bataillon d'exploration. C'est ce qu'elle avait noté noir sur blanc en remplissant le formulaire de vœux d'orientation remis le mois dernier à l'instructeur en chef.

Le Bataillon d'Exploration, songea-t-elle en écrasant son poing contre le sac en cuir.

A l'heure actuelle, ils n'étaient que cinq recrues à l'envisager : elle et quatre adolescents tout juste sortis des jupons de leurs mères mais déjà persuadés d'être les prochains héros d'une nouvelle génération d'explorateurs. Mélia, quant à elle, ne collait absolument pas à l'image qu'on pouvait se faire d'un soldat du Bataillon. Elle était gracile, douce, introvertie et ne semblait pouvoir faire de mal à une mouche - ce qui lui valait les sarcasmes de bon nombre de ses camarades. Elle se distinguait encore du reste des recrues de la 96ème en cela qu'elle était la plus âgée. Mélia venait en effet de souffler sa vingt-quatrième bougie. Non pas que l'armée fut pour elle une vocation tardive - Mélia pensait au Bataillon d'exploration depuis de longues années - , mais elle avait du batailler plus que quiconque pour arriver à ses fins. En effet, fille unique de hauts-dignitaires du Culte, Mélia Bressler était destinée - par les désirs parentaux nourris depuis son enfance - à dévouer sa vie au Culte, à s'y consacrer corps et âme. Ce fut donc sans surprise que M. et Mme Bressler se montrèrent farouchement - si ce ne fut même férocement - opposés à son enrôlement dans l'armée. Mélia n'eut d'autre choix que de ronger son frein et d'attendre sa majorité pour s'opposer à la volonté parentale et intégrer la Brigade d'entraînement. Depuis, elle était sans nouvelle de ses proches.

Une vive douleur lui cisailla les phalanges. Mélia retint un juron et frotta sa main endolorie, puis elle changea de nouveau ses appuis et enchaîna avec une série de frappes du poing gauche.

Tandis qu'elle mettait toute sa force pour cingler le sac en cuir, elle surprit son esprit à vagabonder du côté du souvenir d'un visage d'une rare beauté. Celui d'un instructeur un peu particulier, venu temporairement rencontrer la 96ème comme représentant de son corps d'armée, et - plus particulièrement - les cinq recrues demandant à rallier le Bataillon.