Chapitre 1

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Nathan quitta l'étouffante chaleur de la voiture pour sentir la brise de cette après-midi d'été lui caresser le visage. Situé au beau milieu d'un quartier mondain, personne ne s'était jamais plein de tapage diurne dans cette zone auparavant. Et pour cause, ce dernier était connu des services de police pour faire l'objet de la règle des 70. 70% des habitants des environs avaient plus de 70 ans. Dans cette situation, à part pour quelques cas de conflits après un apéritif un peu chargé, la police pouvait se permettre de négliger cette zone pour se concentrer sur les endroits plus vivants. C'était donc avec étonnement que Nathan, jeune flic tout juste formé, avait été chargé de se rendre au 29 rue Charles de Gaulle suite à des cris entendus par plusieurs voisins. Le couple de retraités qui vivaient là depuis toujours n'avaient jamais été confronté aux forces de l'ordre. Après consultation du voisinage, ses collègues l'avaient informé que ces derniers étaient très discrets.
Le couple Bernard habitait cette maison bien avant que la plupart des voisins emménagèrent. A part leur nom affiché sur la boîte aux lettres, personne ne savait rien sur ce couple qui restait cloîtré chez eux, ce qui n'est pas extraordinaire pour des retraités. Préférant une petite vie tranquille rythmés par les médicaments et la météo, les gens n'étaient pas enclins à socialiser avec leurs voisins au-delà d'une salutation de courtoisie. Ajoutez à cela le fait que les Bernard étaient très doués pour ne pas faire de vague et vous obtenez deux parfaits inconnus au bataillon. Personne ne savait comment ce couple, a priori banal, avait pu entrer en possession de la maison la plus imposante de la région, communément appelée "La maison Slangster" par les autochtones.
Après avoir frappé trois fois à la porte sans réponse, le bleu fit pivoter la poignée et constata avec surprise que la porte n'était pas verrouillée. Il s'engouffra à l'intérieur.

Le hall d'entrée était plongé dans l'obscurité. Seul le lustre produisait une faible lumière permettant de discerner quelques formes aux murs. Le quartier avait toujours été très calme, mais le silence qui baignait dans la pièce avait quelque chose de dérangeant. Aucun bruit extérieur ne parvenait à ses oreilles. Nathan aurait instantanément affirmé que la maison était inhabitée si il était entré par hasard. Cependant, bien que la situation ne lui permettait pas de la percevoir, il sentait une présence. Il prit soin de rester immobile, prêt à agir en cas de danger alors qu'il observait la pièce du mieux qu'il pouvait dans la pénombre.
Le hall avait une forme rectangulaire avec une porte en bois de chaque côté de la longueur ainsi qu'un grand escalier qui occupait tout le côté de la largeur, en face de la porte. Après quelques instants, ses yeux accoutumés à l'obscurité lui permettaient de découvrir que les fameuses formes étaient des tapisseries anciennes, qui recouvraient intégralement les murs. Il savait pertinemment qu'aucun autre être vivant ne troublerait ce silence de plomb, mais sa conscience professionnelle le poussa à prendre une voix assurée et à dire :
"Il y a quelqu'un ?"
Puis le silence reprit ses droits. Cette même conscience professionnelle lui ordonna de faire marche arrière pour prévenir ses collègues qu'il aurait besoin de temps pour inspecter les lieux. Son instinct de survie, qui n'était pas contre l'idée que ses collègues soient avertis, approuva totalement. Le grincement d'une porte qui s'ouvrit à l'étage provoquèrent une montée de stress qui accéléra ses mouvements. En tâtonnant la large porte sans quitter la pièce des yeux, il saisit la poignée...


Une fois arrivé à la voiture, il rassembla ce qui lui restait d'assurance pour annoncer à ses collègues qu'il allait avoir besoin d'un peu de temps pour inspecter les lieux. Il mourait d'envie de solliciter des renforts mais mourrait de honte si il venait à le faire. Qui le prendrait au sérieux si ils apprenaient qu'il s'était décliné au premier bruit de porte ? Il ne pouvait pas appeler à l'aide et passer pour une mauviette. Après un long moment d'hésitation, il reprit le chemin du manoir. Une fois à l'intérieur, il fut à nouveau plongé dans le silence étouffant du hall d'entrée. Il se dirigea prudemment à l'étage sans même entendre le bruit de ses pas sur les marches en marbre. Arrivé sur le palier, alors que l'escalier se divisait pour donner sur deux directions différentes, il était déjà possible de voir les couloirs du premier étage. Ces derniers s'étendaient à perte de vue, si l'on considérait le fait que l'obscurité régnait sur les lieux. Cependant, une des portes du couloir de droite était grande ouverte et une étrange lumière éblouissante émanait de la pièce en question. Au prix d'un effort colossal, Nathan actionna ses jambes en proie au tremblement, pour percer ce mystère lumineux. Plus il s'approchait et plus l'étrange aura perdait en intensité. Plus il s'approchait et plus ses poils, suintant de sueur froide, se hérissaient tandis qu' il perdait le contrôle de ses poumons, qui eux accéléraient leur cadence. D'un naturel cosy, le jeune policier était très surpris de constater les effets physiques et mentaux que la maison Slangster produisaient sur lui. Le doute quant à ses capacités à devenir un flic exemplaire grandissait à chaque contact de ses pieds sur le sol. Lui qui, depuis sa tendre enfance, rêvait de devenir un Commissaire Gordon ou un John McClane de la vraie vie, se demandait à présent si sa place n'était pas devant la caisse d'un fast food. Nathan avait toujours eu du mal à affronter les obstacles de la vie, mais s'en tirait tant bien que mal. La pression parentale, avec laquelle il avait composé en grandissant, l'avait conditionné à être plus exigeant envers lui-même qu'avec autrui. À seulement 22 ans, il souhaitait dédier sa vie à aider son prochain. Probablement une manière inconsciente de détourner son attention de ses problèmes personnels. Cette volonté avait vécu avec lui une grande partie de sa vie, et à présent, elle était entrain d'agoniser... Comme l'aura lumineuse du couloir.
Trop occupé à lutter pour ne pas fuir et continuer à avancer, il ne pris pas conscience du chemin qu'il avait parcouru. Lorsqu'il émergea de ses pensées, il n'avait plus qu'à tourner la tête pour voir le contenu de la pièce. La lumière qui émanait il y a quelques minutes avait disparu pour laisser place à une vapeur légèrement lumineuse absorbant ses pieds. Après avoir fait tous ses efforts, il serait dommage d'abandonner maintenant, c'est pourquoi il décida de tourner la tête d'un geste rapide, à la manière d'un pansement que l'on retire brusquement. La racine de ses cheveux tourna du brun au gris et sa respiration saccadée s'arrêta instantanément quand il observa un jeune homme, debout face à lui. Il n'y avait aucun doute à avoir. Cet homme en uniforme de police était Nathan.

Après de longues secondes durant lesquelles il luttait pour reprendre le contrôle de son corps, son alter ego le fixait du regard, droit dans les yeux. La colère pouvait se lire sur son visage, une colère calme. Déterminée.
- Enfin tu es là. Je commençais à croire que tu ne te montrerais jamais. Dit-il d'une voix caverneuse.
- Qu...Qui êtes-vous ? Articula Nathan en s'efforçant vainement de paraître assuré.
Sans répondre à la question. L'autre se retourna et s'éloigna. Quelques instants plus tard, toujours sous le choc, le policier était à nouveau seul.
Il en avait vu trop. À présent, il voulait partir d'ici, et que ses collègues et ce qu'ils pensent aillent se faire foutre. Personne ne le croirait si il leur racontait ce qu'il venait de se passer, mais c'était sans importance pour lui. Et si ils étaient si malins, ils n'auraient qu'à venir vérifier par eux-mêmes.
Il retrouva la force de rapidement sortir de la pièce pour découvrir que trois des autres portes étaient maintenant ouvertes, y compris celle qui se trouvait face à lui.
La curiosité qui l'avait si souvent rendu service, prenait le pas sur la peur jusqu'à prendre le contrôle. La pièce qui s'offrait à lui était une chambre d'enfant. N'importe quel enfant aurait pu l'occuper, celle où il avait grandit avait d'ailleurs la même disposition. En effet, elle comportait sommairement un lit, une armoire et deux petites étagères remplies de jouets et figurines. La façon dont ils étaient disposés indiquait qu'un enfant avait joué avec avant de les ranger. Aucun élément ne retenait l'attention de Nathan qui regagna le couloir pour entrer dans l'autre pièce, plus proche de l'escalier. Il s'agissait cette fois d'un bureau assez ancien. Très épurée elle aussi, la pièce présentait un vieux bureau en bois ainsi que d'autres étagères pleines de livres et de babioles provenant de divers pays. La personne qui utilisait cette pièce semblait mettre en avant son goût pour le voyage. La lumière qui provenait du hall permettait à ses yeux accoutumés à l'obscurité d'observer en détail chacun des objets. Il y avait notamment un katana dans son fourreau fixé au mur, des pots contenant des épices en tout genre ou encore un chapeau colonial. Contrairement aux murs chargés, le bureau était vide à l'exception d'un dossier de candidature de police, tourné vers la porte, comme si il l'attendait. Une photo d'identité montrant un jeune homme ornait la couverture. Avec ses cheveux bruns, son visage ne présentant aucune imperfection et sa carrure d'athlète, M. Bernard était autrefois le cliché du héros de film hollywoodien. Et, bien que l'humilité l'aurait fait nier cette comparaison face à autrui, Nathan y décelait une certaine ressemblance avec lui-même.
En essayant sans succès d'ouvrir les portes fermées au passage, il se dirigeait à présent vers la dernière pièce. L'idée que cette dernière se trouvait à proximité des escaliers lui procura un peu d'apaisement. Son cerveau fonctionnait à plein régime, il espérait trouver des réponses quant à la raison de sa venue ici et la présence du mystérieux jumeau dans la dernière pièce.

La dernière pièce était un salon plutôt moderne comparé aux autres pièces. Un grand fauteuil simili-cuir placé était face à un écran plat éteint. De nombreuses photos du couple Bernard à des âges différents occupaient la pièce. Sur toutes les photos, ils semblaient heureux. En voyant tout cela, il était difficile de croire qu'une dispute était à l'origine du bruit entendu par le voisinage. Nathan s'attardait sur les différentes photo, intrigué par l'étrange ressemblance entre M. Bernard et lui-même. Mais ce n'était pas des clones ni un double du futur. Déjà... Parce qu'on nous ne sommes pas dans une histoire de science-fiction douteuse et surtout parce qu'une des images indiquait que les Bernard étaient ensemble depuis bien longtemps, alors que lui-même avait toujours été célibataire. En effet, vieille photo de classe montrait les deux individus qui deviendraient le vieux couple Bernard se tenant côte à côte, au milieu de la rangée du fond, debout derrière leur camarades plus petits. Les deux étaient donc déjà très proches depuis l'âge de 15. Malgré les ressemblances frappantes, il était impossible que M. Bernard et lui-même ne soient qu'une seule et même personne. Après avoir rencontré son jumeau plusieurs minutes auparavant, le policier était rassuré de constater qu'il n'était peut-être pas totalement devenu fou. Soudain, un rire féminin fit sursauter Nathan.

La télévision s'était allumée d'elle-même pour diffuser un film montrant des moments heureux du couple. Cette vidéo était agencée comme un diaporama et devait probablement avoir été diffusé lors de leur mariage. Ce souffle de vie au milieu de cette bâtisse fantôme troubla fortement le policier. Il en avait trop vu pour aujourd'hui et cet événement était la goutte d'eau qui mit le feu aux poudres. Il ne voulait pas réfléchir à tout ça, il voulait simplement rentrer chez lui. Loin de tout ce qui l'extirperait de sa zone de confort. Ne plus penser à tout cela. Affirmer au reste du monde qu'il n'y avait rien à signaler et se s'auto-persuader d'avoir rêvé. Ne pas démêler l'illusion et le réel. Nathan fit volte-face et emprunta les escalier pour tomber face avec son alter ego, debout sur le palier.

Cette vision était un marteau écrasant les doigts de son esprit s'accrochant pour ne pas tomber dans la folie. Il serra le poing et fonça pour se retrouver nez à nez avec l'Autre.
- MAIS QU'EST-CE QUE VOUS ME VOULEZ BORDEL !? QU'EST-CE QUE C'EST !? UNE ESPÈCE DE CAMERA CACHÉE !? UN BIZUTAGE !?
- A ma gauche, l'escalier descend vers la porte de sortie. Répondit-il froidement en le regardant droit dans les yeux. Nous ne te retiendrons pas si tu décides de partir et continuer à mener la vie que tu menais avant de venir ici.
- NOUS !? MAIS VOUS ÊTES QUI PUTAIN DE MER...
- Mais nous te proposons une alternative.
Cette voix était plus aiguë et était légèrement plus lointaine. Nathan inclina la tête pour percevoir M. Bernard qui se tenait plus loin derrière l'Autre, en haut des escaliers de l'aile gauche. C'était bien lui. L'âge lui avait voûté le dos et décoloré les cheveux, mais il restait identifiable. Il s''aidait d'une canne pour tenir debout, mais dégageait une assurance colossale avec sa voix. Rencontrer l'homme qu'il avait pu apprendre à connaitre lors de sa visite l'estomaqua. Le policier ouvrit la bouche mais aucun son n'en échappa.
- Derrière moi se trouve l'aile gauche de la maison. Poursuivit le vieil homme, dans cette dernière tu trouveras le boitier électrique alimentant tout le manoir et tu auras la possibilité d'allumer la lumière. Tu pourras éclairer ce que tu as observé plus tôt.

La pression qui s'accumulait était trop forte pour lui. Son choix était fait en un instant. Et en un instant, il virevolta à gauche et sortit à toutes jambes de la maison Slangster.

NathanWhere stories live. Discover now