2. Zéphyr

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Iris est dans le train qui la mène à l'extrême ouest de la Zone Protégée, en direction de l'Université de Bioclimat. Le train, loin d'être bondé, embarque quelques jeunes étudiants, ou futurs étudiants, majoritairement entassés dans les voitures de tête munis de compartiments. Iris, préférant le grand espace de la dernière voiture qui en est, elle, dénuée, est installée dans un confortable fauteuil au tissu gris bleuté légèrement passé. Elle a chaud. « Mon sujet d'étude de deuxième année sera la mise au point d'une bio-climatisation dans les trains » s'amuse à penser Iris. Le train n'est plus tout jeune, mais l'on devine aisément qu'il fût très certainement à la pointe de la technologie il y a quelques années : tout en aluminium, design futuriste devenu ringard, bioplastiques vieillissant mal...

Un jeune homme est assis un peu plus loin. Brun, le teint mat, les yeux noirs, il ne semble guère avenant. Il regarde par la fenêtre. Tout de suite, Iris le soupçonne d'être un Radar. Mais pourquoi la surveillerait-on ? Au bout d'un moment, Iris choisit de l'ignorer et son regard se perd dans les paysages qui défilent depuis son départ de la ville. Des lotissements constitués de riches maisons peu énergivores parfaitement alignées, et incroyablement serrées, avaient succédé aux immeubles vieillissants du centre ville. L'espace habitable est devenu un luxe que seuls les membres les plus hauts placés du gouvernement peuvent s'offrir. Pourtant, pas très loin derrière les lotissements, des bois denses s'étendent à perte de vue. Mais ces bois, propriétés de l'état, servent à la fois de réserve pour le bois de chauffage, et de poumon afin de respirer un air à peu près correct en Zone Protégée. Au bout d'un moment, de vastes prairies apparaissent dans lesquelles des bovins paissent tranquillement. Une ferme « Sigü » ne doit pas être loin. Puis, de nouveau, la forêt.

Iris se souvient d'un petit jeu auquel elle s'adonnait à l'arrière de la voiture de ses parents quand elle était enfant pour briser la monotonie d'un voyage. Elle imaginait un personnage courir à toute vitesse à côté du véhicule, évitant tous les obstacles, sautant par dessus des haies ou des poteaux, parfois au dernier moment. Quelquefois, elle matérialisait ce personnage avec deux doigts mimant des jambes en mouvement près de la fenêtre. À ce souvenir, elle imagine de nouveau son petit personnage et ses doigts se mettent à bouger discrètement...

Après deux heures de traversée, une forêt d'un autre genre prend place dans le paysage : des centaines d'éoliennes gigantesques tournent leurs énormes pales dans le ciel. Ces moulins majestueux semblent parqués dans un formidable champ de plusieurs hectares. Iris sait que celui-ci n'est pas le plus grand, et qu'il existe beaucoup d'autres parcs éoliens, en complément des fermes photovoltaïques. Elle sait aussi que ces technologies ont permis de sortir l'humanité, ou du moins ce qu'il en reste, de ce monstre polluant, et qui continue de polluer encore les sous-sols : le nucléaire. Le gouvernement assure que, à certains endroits hors de la Zone Protégée, les taux de radioactivité sont très élevés, et qu'il ne vaut mieux pas s'y aventurer.

Le train perd de la vitesse, le bruit strident des freins retentit, puis le quai d'une gare apparaît. Le train s'immobilise. Normalement, aucun arrêt n'est prévu, l'express est direct jusqu'au campus de la fac. Le train reste à quai sans bouger. Iris regarde le type au fond, mais celui-ci l'ignore et scrute sa montre. Un crachotement sort du haut-parleur situé à l'avant de la voiture. « Mesdames et Messieurs, veuillez patienter s'il vous plait. » Ok, on patiente. Iris penche un peu la tête pour lire la pancarte annonçant le nom de la gare : Zéphyr. De longues minutes s'écoulent. Iris, finalement un peu agacée, décide d'entamer une discussion avec le « mystérieux mâle ténébreux », comme elle le surnomme intérieurement. Si ce gars est un Radar, il n'est pas très discret. Enfin, normalement, on ne doit pas savoir qu'un Radar est un Radar... Lui, on dirait que c'est écrit sur son front.

Mais la porte du wagon s'ouvre, et un employé de la gare entre en annonçant :

— Un incident dû à un défaut de fonctionnement du pantographe vous oblige à rester en gare pendant une période indéterminée. Je vous invite à descendre du train. Il est préférable que vous preniez vos bagages. Des rafraîchissements et toutes les commodités sont à votre disposition dans le hall principal de la gare. Une annonce sera faite quand tout sera rentré dans l'ordre.

IRISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant