Chapitre 14

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« Quoi ? » Crie Maé, avant de se reprendre, criblée du regard accusateur des clients.

« C'est une blague j'espère ! » Chuchote-t-elle, tout en se pinçant l'arête du nez. Je me contente de secouer la tête, trop occupée à faire l'inventaire des livres. Certains manquent, signe que quelques personnes n'ont toujours pas rendu le leur. Je marque d'une croix le nom des absents, afin de me souvenir d'eux.

J'inspire profondément et affiche une moue quelque peu insatisfaite, comprenant que je vais devoir refaire cette longue tâche ennuyeuse mercredi prochain. Nous sommes samedi après-midi, soit, le moment où la librairie est la plus occupée, remplie de personnes de tout âge, majoritairement des adultes et des doyens, les plus jeunes préférant emprunter et lire chez eux. Ce sont généralement eux qui tardent à rendre les livres à temps.

J'arrange mon éternelle queue-de-cheval devenue quelque peu lâche et referme enfin le cahier d'inventaire, reportant mon attention sur Maé, devenue silencieuse.

« Ecoute, je suis désolée, ok ? Juste... J'ai flippé.

-Mmmh » est tout ce que j'obtiens comme réponse. J'arque un sourcil, surprise par un tel manque de réaction, avant de suivre la trajectoire du regard de ma meilleure amie. Ah. Lucas, le garçon que j'avais croisé sur le trajet de l'école, lit une bande dessinée dans un coin de la pièce, écouteurs aux oreilles.

« Tu m'as l'air bien concentrée ! » Dis-je à Maé sur un ton taquin. Elle se contente de rouler des yeux.

« -On va terminer le collège cette année et je refuse de me faire à l'idée que je n'ai toujours pas eu un copain !

-Est-ce une priorité ?

-Bien sûr ! » S'exclame-t-elle, me surprenant un peu.

« -Donc, tu as jeté ton dévolu sur Lucas ?

-C'est le garçon le plus mignon du collège, alors oui, je vais tenter ma chance !

-Tu trouves ?

-Toi, tu es encore fixée sur ce gars à qui tu as posé un lapin ! » M'accuse-t-elle. Elle place sa main devant moi, m'empêchant de protester.

«Ecoute, je vais être honnête, parce que tu es ma meilleure amie. Ce Simon, c'était juste le prince charmant de ton enfance ! Moi, j'idolâtrais les princes Disney. Est-ce que je laisse ça me gâcher la vie pour autant ? Non.

-Je...

-J'ai pas fini. Oui, il t'a rejeté, mais bon sang Edlynn ! Tu avais onze piges et lui seize ! Tu penses vraiment qu'il aurait sauté de joie ? Je pensais que t'étais quelqu'un de perspicace, bizarre que tu ne l'aies pas compris ça.

-Maé...

-Tu veux un conseil ? Change de disque. On a passé la période de la fille misérable, parce qu'elle s'est fait rejeter par son ami d'enfance. Merci. Maintenant, j'y vais. »

En à peine dix secondes, elle se retrouve aux côtés de Lucas, feignant de connaître l'auteur de son ouvrage. Je reste bouche bée, clouée par la franchise brutale de la jeune fille... Tout ce qu'elle a dit n'est que la simple et pure vérité, mais je ne peux empêcher une montée de colère jaillir en moi.

Que peut-elle comprendre de mes sentiments ? Que sait-elle de la souffrance, de la honte et du ressentiment que j'ai vécu en me faisant rejeter ? Elle est bien douée pour parler, cependant, elle n'a jamais expérimenté une telle humiliation. Non, je ne ressens plus rien pour Simon, j'en suis certaine. Mais oui, j'avoue, j'ai du mal à oublier huit ans d'affection, que cela ait été de l'amour ou juste un attachement excessif.

Je me mords la lèvre inférieure jusqu'à sentir le goût amer du sang dans ma bouche, énervée contre moi-même pour être aussi irrationnelle et stupide. Maé a raison... Et cela m'agace encore plus, car je sais que je suis la seule qui complique toute la situation. S'il a voulu me revoir, c'est sûrement qu'il veut arranger les choses, laisser tout ce malentendu dans le passé.

Ce n'est pas parce que je l'ai vu avec Darya que cela veut dire qu'ils sont encore ensemble... Et combien même, ça ne me regarde pas. Simon a dix-neuf ans maintenant, il est libre de faire ses choix, de voir qui il veut. Je ne suis que son amie, une simple fille de treize ans, qui n'a aucune influence sur lui, aucun droit. Je dois apprendre à rester à ma place, arrêter de fuir parce que j'ai peur et écouter ce qu'il a à dire.

Et ce, même si je risque de me blesser les doigts avec les derniers éclats de notre relation, de l'innocence que j'ai peur de perdre si ses mots se révèlent trop douloureux.

« Ferme la bouche quand tu fixes dans le vide. »

Je sursaute, surprise par la voix de mon interlocuteur inattendu. Il affiche un sourire moqueur, vêtu d'une tenue complètement noire, uniquement égayée par une veste en jean bleue délavée, assortie à ses mèches de la couleur du ciel.

« T'es vraiment pas futée comme fille unh.

-Je me passerais de tes commentaires Adil. Qu'est-ce que tu veux ? »

Il roule excessivement des pupilles , avant de me tendre nonchalamment -jeter plutôt- un livre.

« Fais ton job s'il te plaît, si c'est pas trop te demander.

-La politesse ne te tuera pas tu sais ?

-J'ai dit s'il te plaît. »

Je lève les yeux au ciel, avant de les écarquiller en voyant l'auteur de l'ouvrage. Conscient de mon ébahissement, Adil l'arrache de mes mains, tout en se dirigeant vers la sortie.

« -Hé ! Tu dois l'enregistrer avant de partir !

-C'est bon, je vais pas te le voler ton bout de papier Edmond.

-Tu...! »

Il ferme la porte, ne me donnant pas le temps de répondre. Je me gratte le front, agacée par son attitude de rustre. Je ne sais pas comment Fred fait pour gérer les jumeaux, mais il doit avoir une patience à rude épreuve. Sans aucune réelle conviction, je mets une croix près du nom du nouvel absent. « Danielle Steel ».

Un sourire naît sur mes lèvres, amusée par l'idée que ce garçon impoli lit de la romance. Décidément, les gens sont remplis de surprises. Surprises parfois mauvaises...

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SmokeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant