Chapitre 22

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"Nul ne peut atteindre l'aube sans passer par le chemin de la nuit."
Khalil GIBRAN

« Tu te sens mieux ? »

Je me contente de hocher la tête, encore un peu tremblante. Assise sur le lit assez grand pour que toutes mes affaires y entrent, j'essuie mon visage trempé de larmes. Quand est-ce que cela cessera ?

« Je suis désolée. » Je balbutie, gênée de ne pas avoir su me contrôler. « Je vous dérange, alors que vous devez être occupée.

- Ne t'inquiète pas. Au moins, j'ai de la compagnie."

Margot m'offre un sourire qui se veut réconfortant, mais ne fait qu'effleurer mon malheur. J'inspire quelques minutes pour tenter de reprendre une certaine contenance, aussi misérable soit elle.

"Reste ici pour la nuit."

Ma confusion se peint sur mon visage fatigué, ce qui a pour effet de faire rire mon interlocutrice.

"Ne sois pas aussi surprise. Il a sûrement dû se passer quelque chose d'horrible pour que tu accoures ici avec des mains ensanglantées. Rentrer chez toi n'est pas la meilleure solution pour l'instant."

Elle ne me donne pas le temps de répondre et me lance des vêtements, ainsi qu'une serviette et quelques affaires de toilette.

"Heureusement pour toi que la chambre d'ami n'a pas encore été vider, sinon tu aurais dormi par terre. Rejoins-moi dans le jardin quand tu te seras barbouillée. Tu connais le chemin non ?"

Margot s'en va en fermant doucement la porte, me laissant toute seule dans la pièce. Seul le lit et ses draps immaculés sont intacts, tout le reste est soigneusement étouffés dans des cartons. La fenêtre longeant la hauteur du mur laisse la lumière entrer, apportant un semblant de réconfort à l'endroit vide.

Je me dirige vers la salle de bain, semblable à celle de mes souvenirs. Grande, lumineuse et luxueuse. La dernière fois que j'étais venue ici remonte à mes six ans je pense. Ensuite, Simon ne m'avait plus jamais laisser mettre les pieds chez lui.

Je sens mon coeur se serrer à son souvenir, mais le balaye rapidement en apercevant mon reflet. Pleurer à tout bout de champ aura eu raison de mon physique...


"Je vais peindre ton portrait !" S'exclame Margot, assise sur une des chaises restantes de la grande terrasse. Derrière son chevalet, elle reprend très vite son apparence d'artiste intransigeante.

"Pardon ?

-J'ai dis que j'allais te peindre. J'ai pourtant été claire.

-Non. Enfin, je veux dire pourquoi ?

-Parce que toi et moi avons besoin d'extérioriser ce que nous ressentons. Dans mon cas, peindre est le meilleur moyen. Et toi ?

-Avant... Avant j'écrivais. Tout ce qui me passait par la tête, peu importe l'orthographe ou la conjugaison. Mais...

-Mais tu n'es plus celle que tu étais, n'est-ce pas ? Tellement de choses sont arrivées en si peu de temps, que tu as du mal à te retrouver."

Je ne réponds pas, consciente qu'elle a raison. Ces derniers jours ont été chaotiques. La perspicacité de cette femme m'étonnera toujours. Face à mon silence, Margot sourit, visiblement satisfaite d'avoir raison.

"Le meilleur moyen de s'en sortir, c'est d'y penser. Alors je veux que tu t'assois sur le gazon et que tu réfléchisses. Peu importe que tu pleures, que tu cries ou même si tu t'énerves. Pense. Ne fuies pas."

D'abord perplexe, je m'exécute quand même, sans vraiment savoir pourquoi. Je n'aie pas à faire ce qu'elle me demande, mais la manière dont elle formule les choses m'attire et me donne envie de tenter le coup. Qu'importe. Je n'ai plus rien à perdre.


Cela va faire une semaine que Margot me peint. J'ai récupéré mes affaires à l'appartement et me suis installée dans le manoir. Je vais en cours, pose et passe mes nuits à pleurer. Je sais qu'elle feint de ne pas m'entendre sangloter la nuit, mais je n'arrive pas à me débarrasser de la peine que je ressens.

J'évite Maé depuis l'enterrement, trop anxieuse de m'effondrer encore une fois devant quelqu'un. Je sais qu'elle doit m'en vouloir d'ignorer ses appels et d'avoir changé de place en classe, mais je ne veux pas être un fardeau.

"J'ai fini !" S'exclame la peintre, victorieuse, le pinceau en l'air.

"Vraiment ? Je veux voir !

-Non." Tranche-t-elle d'une voix autoritaire.

"Pourquoi ?

-Je ne laisse jamais mes modèles voir le résultat final avant l'exposition.

-Mais c'est mon portrait !" Je m'offusque, énervée.

A mon plus grand désarroi, elle sourit.

"C'est la première fois depuis des jours que je te vois hausser la voix. Mission accomplie, je suppose."

Je ne sais pas quoi dire, prise de court. Elle me tend alors une carte de visite, l'expression fermée.

"Je pars demain Edlynn."

Je ne réponds pas et me contente de hocher la tête. Je sens mon coeur se serrer, mais étrangement, je reste calme, comme si je m'étais déjà préparée à ce moment. Après tout, son départ était évident depuis le début. Nous nous regardons quelques secondes, conjuguant un adieu silencieux, sachant très bien que je ne la rappellerai pas.

Sans un mot, elle prend mon portrait et quitte le jardin, soudainement teinté d'une brise de tristesse, de larmes et de souvenirs perdus.

Le lendemain matin, le manoir est toujours aussi silencieux que d'habitude, mais beaucoup moins vivant. Je vois à travers la fenêtre que l'aube se lève, annonçant timidement les premiers rayons de soleil qui effleurent le ciel. Je me lève doucement et me rapproche de la vitre.

J'aperçois alors une voiture rouge démarrer, puis doucement partir vers le grand portail. Trois coups de klaxon aiguë viennent rompre le silence impérial du réveil du monde, tandis que la machine s'éloigne.

Elle est partie.

Je laisse une seule et unique larme rouler sur ma joue, regardant l'aube prendre place. Un nouveau jour se lève, une nouvelle vie commence. Une vie sans maman, sans Simon. Une vie où Alaric a sombré dans l'alcool.

Je m'autorise encore quelques secondes à rester immobile, laissant la faible clarté de la naissance du jour me bercer. Plus rien ne sera jamais pareil.

"Adieu..." Je murmure.

989mots

SmokeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant