Femme 2

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Sentiment (Mal)fraternel


Élevé lui aussi par mon père, l'un de mes frères n'avait pas bénéficié du contre-poids maternel. Le plus âgé d'entre eux était en fait mon cousin, adopté à la mort de son géniteur. Lui aussi était plein de consignes passées pour des conseils. La fierté patriotique, nationalisme exclusif, avait parlé avant lui :

« Tu te maries avec qui tu veux mais pas un musulman. Sinon je viendrai pas à ton mariage. »

Mais à dix ans le terme même de musulman n'évoquait, ça n'était pas même un concept dans mon esprit enfantin. La différence n'existait pas encore dans la vision que je me construisais peu à peu. Ils ne mangeait pas de porc, voilà la seule différence que l'on m'ait apprise. Mais nous ne mangions pas de bœuf, nous, alors peut-être que d'autres ne nous aimaient pas non plus...

Il fallait remonter quelques dizaines d'années en arrière pour comprendre cette hostilité, j'en étais incapable à l'époque, alors j'ai simplement acquiescé, respect des aînés, qui plus est des hommes, obligeait. Toujours dans l'idée que le mariage serait le point culminant de mon existence, que rien ne me rendrait plus heureuse car ma famille serait fière, Isaac ne serait jamais mon amoureux. Sa peau foncée me laissait penser qu'il ne mangeait pas de porc, comme ils me l'avaient dis. Mon amoureux serait mon mari, il ne serait pas musulman et il serait indien, comme l'avait annoncé mon frère.


Mais quand j'ai vu son mariage à lui, quatre années après, ça a été automatique. Là où papa avait malmené maman, le mimétisme était plus que probable. Les jeunes mariés étaient venus passé quelques jours chez mon père et, au détour d'un jeu entre nous, mon frère m'a chatouillé. Sa femme a fait une légère réflexion, rien qui ne nécessitait tel spectacle mais en qualité de sœur je devais être protégée de toute dégradation extérieure à celle de la famille. Alors il l'a tiré par les cheveux, l'a agenouillé à mes pieds et l'a sommé de s'excuser. En pleur elle était, et entre deux sanglots elle me suppliait de la pardonner. C'était comme si c'était fait. Mais la femme s'excusait encore, sa longue chevelure dans le poing serré qui la tirait en arrière, et en avant. Il aurait pu la balader dans la rue comme si elle était chienne, ça aurait eu le même effet. J'ai pleuré aussi, l'ai pardonné maintes et maintes fois alors que l'assemblée masculine autour souriait ou se résignait. C'est moi qui aurais dû lui demander pardon d'avoir un frère et un père comme ça.

Après ça, j'ai compris qu'un mariage arrangé au pays n'était pas garantie de bonheur. La domination dans la relation était dangereuse quand le masculin était instable. Peut-être que j'étais moi même instable, peut-être que le mimétisme m'attraperait aussi...


Mes autres frères se sont, eux, attaqués directement à moi ; ils n'ont pas dégradé l'image de la femme mais mon image à moi. Quelques grossièreté sur mon poids, quelques secondes chaque jour qui resteront quelques années. L'adolescence ne me réussissait pas mais elle ne leur allait pas non plus. Cette gamine méchanceté des âges où on se trouve en cherchant les autres. Aujourd'hui, ils se sont assagies et me complimentent plus que je ne le fais.


Je devais me construire comme femme avec ce passif familial dévalorisant. Sœur maladroitement protégée, femme violemment aimée. Rien de tout ça ne valait la peine d'être née avec un vagin. Longtemps j'ai voulu être né garçon ; être un frère, un fils, un ami, un mari et un père. Heureusement, maternel raisonnement m'a fait comprendre que ça n'était pas normal, que ça n'était pas là un traitement généralisé de la gente féminine. « Une claque et tu te barres. » je ne dois pas être la seule à l'avoir entendu. Ça non plus ça n'était pas normal. On ne devrait pas avoir à dire ça à sa fille, sa sœur ou sa cousine. On ne devrait pas avoir à prévenir de la violence masculine qui abîme le corps de la femmes, le cœur de la fille.

Sentiment était frère. Protecteur auto-proclamé m'a lancé un « démerde toi salope » sans le vouloir.


Grand rien, petit tout. Grand tout, petit rien.

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⏰ Last updated: Mar 31, 2020 ⏰

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Grand rien & Petit toutWhere stories live. Discover now