Il m'avait donné rendez-vous à l'Astérisme, un soir de fin d'été.
Le jour embrassait la nuit dans un ciel apparié, accouplement de rose. Il décrivait ce paysage comme « camaïeu d'églantine ». C'était mon prénom. Églantine, soleil de ma vie qu'il disait. La douce fleur ne se savait pas encore attaché à l'épineux Rosier des chiens.
Assise dans le parc, je l'attendais. Je l'ai connu en retard et voilà qu'il n'avait pas changé. Après une demi-heure, je pensais qu'il s'était moquée de moi, une fois de plus. Je me suis donc levé et, à cet exact moment, il est sortie de nul part, tout sourire.
Ses boucles n'avaient pas fanées et son sourire narquois n'était pas encore mort. Son éternel sweat à capuche uni étouffait toujours dans le même parfum oriental que la vendeuse lui avait vendu « mystérieux et viril » avec un sourire aguicheur qui, à l'époque, m'avait fait enrager. Il lui avait répondu d'un regard sibyllin. Cerbère de cet iris infernal, son sourcil barré d'une cicatrice attirait encore les fausses intrépides.
En s'approchant, il a essayé de mimer un manque d'assurance presque mignon, ses mains coincées dans les poches de son jean. Si seulement... Son sempiternel sourire le trahissait. Sa confiance était devenue obèse, mesquine et égoïste. Il n'avait pas changé, juste quelques poils en plus pour faire semblant.
« On se retrouve sous le camaïeu d'églantine. Rien n'a changé ma belle ! Comment tu vas ?
- Pourquoi on est là ?
- Calme, calme... Je viens juste prendre des nouvelles. Alors, ça va ?
- Ça va, merci.
- Tu fais quoi en ville ? T'es pas censée être à Vancouver ?
- Ils m'embauchent, je viens préparer mon déménagement.
- Mais c'est super ! Toi qui en as toujours rêvé ! Je suis vraiment content pour toi.
- Merci. »
Il a pris mon sourire gourmé pour une invitation et s'est assis sur le dossier du banc. La même posture depuis cinq ans. Les coudes appuyés sur ses genoux, ses mains cueillaient son visage aux traits fins et expressifs que je reconnaissais. Son sourire avait disparu, ses sourcils légèrement froncés et ses mandibules contractées indiquaient quelques rares pensées sérieuses. Sa mâchoire, déjà carrée au lycée, s'était développée. Une brique dans chaque joue, du ciment dans la poitrine et des larmes de grenaille que je n'ai jamais vu. Il s'était endurci.
« J'suis plus un gamin Titi. J'ai fais des conneries au lycée mais j'étais un p'tit con. J'ai ris, à sa plus grande surprise. J'te parle sérieusement là. Je suis désolé pour ce qu'il s'est passé. Je m'en veux encore aujourd'hui et j'aimerai bien me faire pardonner.
- Il n'y a rien à pardonner, j'ai ma part de faute. Les gens m'ont assez répété que si la personne va voir ailleurs c'est qu'elle n'est pas satisfaite chez elle.
- Non non, t'étais très bien, c'est moi qui...
- Arrête un peu avec tes disquettes, s'il te plaît. J'ai pas de temps à perdre. Merci d'être désolé et, même si tu l'as pas demandé, je t'excuse. Tu m'as traîné dans la boue pendant trois ans pourtant tout le monde a pris ton parti... C'est drôle ! Ça ne l'était pas à l'ép...
- Qu'est ce que tu racontes... J'ai rien demandé aux gens.
- Laisse moi parler. Fais un effort, juste une fois, s'il te plaît. Il y a eut un moment de blanc où j'ai pu reprendre mes esprits et saisir ma chance. Tu te souviens de ce samedi soir ? On devait aller en soirée donc je m'étais préparé, fière de t'accompagner, et tu m'as dis que j'étais dégueulasse dans ma robe. J'avais donc enfilé un jean et un pull et on était parti. Arrivés là-bas, une fille portait la même tenue que celle que tu m'as fait enlever. Tu l'as complimenté, tu as même dansé avec elle et j'ai su, quelques mois plus tard, que vous aviez couché ensemble dans les toilettes.
- C'est faux.
- Laisse moi finir putain ! Ce soir là, tu as eu le culot de venir dormir chez moi, dans mon lit, en me répétant que cette fille était plus belle que moi et que si je ne changeais pas tu partirai. Finalement, c'est moi qui suis partie. Ma mère apeurée par ce que je devenais m'a attaché dans l'avion. J'ai longtemps cru que j'étais répugnante, indigne et méprisable. Je ne m'aimais pas, je ne laissais pas les autres m'aimer. Je pensais ne pas le mériter, je pensais que c'était du foutage du gueule jusqu'à ce que quelqu'un prenne le temps que tu n'as jamais pris pour s'intéresser à moi.
- Tu ne t'en es pas remise encore, sourit-il. T'es pas si forte que ça Titi...
- Et dire que j'aimais ton sourire sans voir la perversité de ces fossettes... Avant que je parte ma mère m'a dit qu'on pouvait tomber amoureux de la mauvaise personne. Je n'avais pas compris, pour moi il suffisait de s'aimer. Ça n'a pas suffit.
- Je t'aimais. Je t'aime encore, a-t-il soufflé d'un air presque tragique en fermant les yeux. Quand t'es parti j'étais effondré !
- Casse toi de là...
- T'es la femme de ma vie Titi..! »
Déterminée, je suis partie. Les larmes aux yeux, le sourire aux lèvres. Titi avait grandi, son cœur aussi, et après tant d'année j'ai eu l'opportunité de tourner la page.
Grand rien, Petit tout. Grand tout, Petit rien.
(Je prends tous les avis/critiques en compte même si ces textes sont principalement fait en une fois, avec très peu de relectures. Bonne lecture, prenez soin de vous, des vôtres, et à bientôt !)
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Grand rien & Petit tout
Historia CortaQuand la nuit est tombée mais que mes paupières tiennent, je vois les projecteurs stellaires briller, la scène numérique s'éclairer et c'est mon solo de piano que je joue à coup de lettres. Petites phrases, grandes histoires, à vous simplement d'en...