« Coumba Ting Ting Coumba, sama guelbi dafa thiaga
Coumba Ting Ting Coumba, sama guelbi dafa thiaga”
Il n’y a pas moyen de savoir ce que cela voulait bien dire, mais Hichem aimait bien chanter ce petit bout de phrase mystère. A chaque fois qu’il commençait à chantonner, il prenait son petit « jembé » qu’il tapait à un rythme effréné. L’ensemble était musicalement très nul mais nous autres, on aimait bien. La rigolade était toujours assurée mais lui, s’en foutait complètement. Pour un petit français d’origine arabe qui chantait sa copine en langue wolof, son excitation était bien à la taille de son exploit.
Hichem, c’était un de ces arabes nés à Paris dont la famille avait décidé de rejoindre la France pour de meilleurs lendemains. Contrairement aux clichés, sa famille s’en était jusque là bien sortie. Ses parents étaient toujours restés dans le même bloc qui les avait accueilli depuis leur arrivée a Paris. Tous leurs enfants y étaient nés. Parmi eux, Hichem, un jeune reubeu teigneux dans les ghettos parisiens qui aimait se mélanger à toutes les races, jouer au foot et fumer des joints avec ses potes dans les cages d’escalier. Bref, une vraie graine de racaille, ceux-là à qui Sarko n’aurait pas hésité à balancer le fameux « casse-toi Pauv’con ». Mais ça, c’était bien avant Sarko.
Père strict mère aimante mais aussi exigeante envers ses enfants, tout cela n’avait servi à rien. Pour Hichem en tout cas. L’influence de la bande était trop forte, plus forte même que l’éducation parentale. Hichem avait commis toute sorte de délits : Vandalisme, vol, substances illicites… Ses parents commençaient vraiment à perdre espoir. Leur fils avait choisi une vie qui ne pouvait être sienne. De culture arabe, musulman, (PRATIQUEMENT), comment leur fils avait-il pu tomber si bas ?
Il est vrai alors que l’environnement social détermine l’individu. La famille ? Oui, ça aussi c’est l’environnement social. Mais de nos jours, le temps qu’on passe réellement avec la famille, c’est seulement pour dormir. Avant, c’était différent, on mangeait en famille, on regardait les matchs en famille, le papa vérifiait les devoirs de ses enfants et la maman leur racontait des histoires la nuit.
Il me manque ce temps, quand maman nous racontait les histoires de Leuk le lièvre et Bouki la hyène. Dans chaque histoire, il y avait une chansonnette. La belle voix de ma maman me manque. Oh oui, on faisait aussi des jeux. On nous apprenait à connaitre le nom de notre grand-mère, le nom de la mère de celle-ci, le nom de la mère à la mère à ma grand-mère, ainsi de suite jusqu’à la septième génération. De vrais cours de généalogie. Oh mince, je viens de me rendre compte que j’ai oublié une chose. Quand on en arrivait à la septième génération, il y avait cette phrase que l’on prononçait, histoire de montrer que la liste des ancêtres était encore longue. Oh mince, je viens de me rendre compte que c’est ma vie que je suis entrain de raconter là. Revenons-en à Hichem !
L’environnement social maintenant, c’est l’école. Pas la classe, mais la cours de récré, les terrains de jeux, les « blocks », twitter, instagram, thumblr, facebook, lasenegalaise… Ces nouvelles familles virtuelles nous ont tout appris, en bien comme en mal. Mais bon, je ne vais pas me prendre la tête à parler de cela. C’est déjà un bon sujet de BFEM que de parler des avantages et inconvénients du net. J’en laisse la tâche aux ados.
Hichem et sa bande avait complètement viré racaille, il fallait trouver une solution En ce temps, après des allers-retours dans les camps de redressements pour ados aux comportements « extraterrestres », la mode était aux voyages éducatifs. Six mois en Afrique, dans la chaleur et la misère, un encadrant sévère qui les laisseraient se débrouiller et s’adapter aux conditions difficiles, mais qui serait quand même toujours à côté pour les rappeler à l’ordre en cas de dérive.
Tout a été vite fait et Hicham avait débarqué au Sénégal avec 4 autres ados aussi bornés que lui. Difficile d’en gérer plus de 5 à la fois.
Il y’avait Hichem, Mathieu le morveux, Tidiane le grincheux, Manu petit Zob et Etienne. Oui, lui, c’était Etienne tout court ! Allez savoir pourquoi Hichem ne lui avait pas trouvé de surnom, puisque c’est lui qui s’en était chargé pour tout le monde.
Mathieu, c’était le plus jeune du groupe, aussi le souffre douleur, mais Dieu sait que ce gosse maîtrisait l’art de rouler un joint en scred.
Tidiane : Malien né à Paris qui a décidé de prendre la tête à ses parents depuis que le châtiment corporel y a été interdit. Dieu m’en soit témoin, si ce mec était aussi mal éduqué au Mali avec des parents maliens, il allait en bouffer des coups de ceintures. Mais la France elle, elle interdit de taper sur les gosses. Alors, peut-on en vouloir à Tidiane ?
Manu c’était l’ »ambianceur » du groupe. Trop gentil mais, son seul problème, ce gars était accro au Vol. Ce type avait un violon sur les doigts. Un artiste dans l’art de voler.
Etienne, ce gars lui, personne ne pouvait rien dire sur lui. Ce type avait un foutu gros problème. Il pouvait rester toute une journée sans parler, ni sourire, rien. J’ai comme l’impression qu’il se sentait un peu comme enfermé dans une prison. Il faisait les tâches qui lui était attribuer sans broncher, finissait vite fait et rejoignait son coin. Ce genre de type, il faut tout simplement le laisser dans son coin.
Vincent, le coach, un antillais balaise avait loué à l’avance un endroit qui ressemblait à une maison. C’était donc à eux de tout réfectionner. Dès que les ordres furent donnés, Etienne était déjà dessus alors que les autres commencèrent d’abord par se plaindre avant de s’y mettre à leur tour. On pouvait entendre de partout la grande gueule de Hichem jurer qu’il ne le ferait pas puisqu’il n’était pas maçon.
Première semaine très dure pour ces jeunes qui, dans leur vie n’avait vraiment rien réalisé de concret si ce n’est un joint fumant. On les voyait de temps en temps dans le quartier sans jamais savoir exactement ce qu’ils étaient venu faire la.
La première fois que nous les rencontrâmes, ce fût Iba, un ami en commun qui les avait ramenés à la maison à l’heure du thé. Puisque le but de l’expédition était de les aider à mieux s’insérer socialement, ils ont leur permettait de se mélanger à la population locale comme s’ils habitaient la. Mais on avait oublié de nous prévenir de qui ils étaient vraiment. On avait alors sorti le Monopoli pour se taper quelques parties. Puis après, place au football. Sauf que la nuit, à l’heure de la séance nocturne Monopoli, le jeu avait mystérieusement disparu. On avait beau cherché mais rien. Puis on s’était tout simplement dit que la daronne avait décidé de cacher le jeu qui nous faisait faire beaucoup de bruit et de dérangement. Sauf que le lendemain matin, à l’heure du thé, c’est Manu qui se pointa en premier à la maison.
Manu : Salut les gars, vous voulez qu’on se face une partie Monopoli.
Antonio : Non, laisse tomber, on n’a pas le jeu !
Manu : Non t’inquiètes, je vais le chercher à la maison.
Non mais OHH ! Le gamin venait de nous dire de façon tout à fait naturelle que c’est lui qui avait taillé la boite de Monopoli en toute discrétion. On était alors voir Vincent pour lui expliquer le cas. Lui n’avait trouvé qu’à nous dire :
Vincent : Ces gosses sont terribles, faites bien attention à vos trucs quand ils seront avec vous. Pour Manu, priez juste qu’il ne veuille rien vous prendre, parce qu’il trouvera toujours un moyen de vous chourer ce qu’il veut !!
OKAY… Un homme prévenu en vaut deux.
Bientôt, tout le quartier les connaissait, ils entraient et sortaient de partout comme s’ils y avaient toujours habité. Vincent avait de moins en moins de problèmes avec eux. Des fois, ils sortaient avec eux voir leurs amis pour s’assurer que le changement de caractère qu’il avait cru noter était réel et POSSIBLE. C’est vrai qu’il a eu quelques bagarres par-ci et par là mais bon, rien de bien méchant.
Je me rappelle ce jour par exemple, Hichem voulait rouler un joint chez nous. Eh oui, ils savaient bien ou se procurer alcool et Marijuana.
Antiono : Eh non Hichem, chez mon père, on ne fume pas de joint !
Hichem : On encule ton père nous !
Prochain épisode, c’est Antonio que se lève, choppe Hichem et en quelques coups violents, le tout était réglé. C’était en tout cas clair pour eux : ils pouvaient bien se comporter comme ils voulaient avec leurs parents, la bas en France, mais au Sénégal, cela ne passait pas.
Tidiane le petit malien d’origine était en avance sur tous les autres. Il avait compris que pour rendre son séjour plus agréable, il lui fallait une meuf. Ce qu’il ne tarda pas à trouver. En plus, ce n’était vraiment pas difficile vu que c’est lui qui s’apparentait un peu plus au sénégalais. La meuf du grincheux venait d’inspirer toute une génération de jeune français teigneux balancés à eux même dans la chaleur sénégalaise. Bientôt, ces enfoirés se firent rares, très rares même. Petite ob s’en était tapé une, puis Hichem, Mathieu lui était peut-être un peu trop jeune pour cela. En fait non, c’est juste que ce gamin n’avait toujours pas changé, il n’avait rien d’autre dans sa tête, rien d’autre que ses joint. Etienne lui, bon c’était Etienne et personne ne s’attendait à ce qu’il se trouve une meuf.
Ces gamins réputés très mal éduqués avaient l’air tellement normal chez nous que ça en devenait presque gênant. De la vendeuse de « fataya » du coin à la dame « Fondé » en passant par la boulangerie et le terrain d’entrainement des jeunes du coin, tout le monde les connaissait. Mais Vincent restait quand même toujours aussi vigilent avec eux.
Le soir de son premier anniversaire passé au Sénégal, on avait organisé une toute petite fête pour Hichem qui avait fièrement invité sa copine COUMBA. Iba, l’ami qui nous les avait présenté lui avait offert un « Jembé » comme cadeau, son seul cadeau de la soirée d’ailleurs. Après le gâteau et la fameuse chanson, Hichem avait pris la parole pour remercier tout le monde. Puis il avait pris son Jembé et, avec la complicité de Iba, s’était mis à jouer un rythme jusque là inconnu de tous les grands batteurs tout en chantant :
« Coumba Ting Ting Coumba, sama guelbi dafa thiaga
Coumba Ting Ting Coumba, sama guelbi dafa thiaga”
Au début, tout le monde riait à en perde la voix. Coumba, un peu génée était partie se réfugier quelque part dans la maison. Puis tut le monde s’était mis à la chanson de Hichem. Une belle soirée en somme.
Qui aurait cru tout cela ? Qui aurait cru voir un arabe, naturellement raciste se taper une petite négresse du Sénégal ? Qui aurait pu s’attendre à ce que Etienne, celui avec un gros balai dans le cul pourrait trainer en ville, rater le diner chez eux puis venir voir la daronne pour lui dire « Mama, lekk amna ». Ces ados avaient clairement dépassé un stade de leur vie. Il est alors vrai que l’environnement détermine l’individu. Même si nos valeurs n’étaient en rien les leurs, ces jeunes en difficulté avaient fini par comprendre que, tant qu’à vivre dans une société, autant respecter ses valeurs pour se faire accepter et vivre en harmonie.
Vincent faisait chaque semaine un rapport à sa direction et aux parents. C’était tellement incroyable que Arnaud, un des supérieurs de Vincent était venu de la France exprès pour se faire lui-même une idée de l’expédition. Certains vices ne partent pas d’un seul coup. Manu était toujours accuser de vol par ci et par là, Hichem était toujours aussi grande gueule et trouvait toujours un moyen de se procurer de l’alcool et de l’herbe, Mathieu excellait toujours dans son domaine. Mais la vie en société et selon ses normes, ils y arrivaient. C’était évident que d’autres jeunes en difficulté allaient encore débarquer de la France.
Stage terminé, le groupe devait retourner en France et faire face à cette société qui a toujours donné du mal à leurs parents pour les éduquer. Pour Tidiane, les choses étaient moins dures puisque lui avait déjà décidé de revenir passer les prochaines vacances chez nous. Même promesse faite par Hichem à sa petite Coumba.
Le jour de leur départ, une fête d’au revoir fut organisée. Ils reçurent toute sorte de cadeau de nous et de la part d’autres amis qu’ils avaient eu en ville. On en revenait difficilement de voir ces jeunes verser des larmes. A nos yeux, à cette époque, c’était tout simplement bête et stupide de pleurer alors qu’on partait pour la France.
Pourtant, des années plus tard Etienne fut le premier à revenir sur les traces de ce bel épisode de sa vie. Il avait clairement beaucoup changé et avait grandi. C’était devenu un homme lui. Mathieu et Manu aussi, parait-il avait grandi et travaillaient maintenant. Quant-à Hichem, très peu de nouvelles.
J’ai pourtant demandé à Iba un jour s’il avait toujours des nouvelles de son ami. Lui m’avait expliqué que, d’après Etienne, Hichem était décédé des suites d’une bagarre qui aurait mal tourné dans une rue non loin de sa cité.
Merde alors, Hichem était mort ?
De nos mémoires collectives, nous garderons toujours cette fameuse chanson improvisée de nulle part, symbole d’une intégration bien réussi et d’un bonheur bien qu’éphémère mais vécu dans le respect de l’autre, au-delà de toute barrière et de considération antipathique.
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Scénarios de Vie
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