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Depuis que j’ai rencontré cet homme, depuis que nos regards se sont croisé, je suis de plus en plus ailleurs. Après mon agression, j’avais développé une sorte de névrose qui me projetais parfois dans un état d’inactivité, ou j’étais le plus souvent déconnecté du monde. Je peux donc rester, à fixer un point le plus souvent inexistant, sans pour autant avoir une pensée particulière pour quelque chose. C’est le seul trouble psychotique que je reconnais avoir, car je l’ai moi-même diagnostiqué.
Aujourd’hui encore, assise dans la salle de repos du centre de santé, je triture nerveusement le petit bout qui dépasse du bandage qui recouvre les cicatrices de mon poignet droit, un autre tic nerveux que j’ai développé. Ça doit faire près d’une semaine que je n’ai pas parlé a Eloïse, non pas seulement par manque de temps, mais aussi à cause du fait que je ne veux pas donner plus d’importance au sujet qui lui tient le plus à cœur ce temps-ci. Le même temps s’est écoulé depuis le réveil du patient de la chambre 4. Son coup sur la tête s’avère être plus grave que nous ne le croyions parce qu’il ne reconnaît même pas son prénom. La foulure sur sa jambe guérit pourtant très bien.

Parfois, alors que je sors du centre pour m’aérer un peu, je le retrouve assis dans le banc qu’il y a à l’arrière, l’endroit ou pousse ces magnifiques lys que j’adore sentir en fin d’après-midi. Ce qui me retenais parfois à l’épier comme aujourd’hui, c’était la façon dont à chaque fois, il était absorbé par la lecture d’un livre. Il paraissait tellement concentrer dans sa lecture, tellement loin, que j’avais l’impression que l’histoire avait pour lui un intérêt tout particulier. Doucement, peut être sans le vouloir, je m’étais avancé, jusqu’à parvenir à lire au-dessus de son épaule, quelques mots de son ouvrage dont j’ignorais le titre.

« … Marylise n’entrevoyais aucune issue. En bref, elle était complètement dos au mur. La seule chose qui la retenait en vie, c’était l’espoir qu’un jour les choses s’arrangerait, que le soleil se réveillerait pour peut-être caresser son dos nu sur la plage, choyer son sourire radieux, au lieu de piquer sur ses blessures encore béantes qui lui donnais l’impression de vivre déjà une part de l’enfer… »

-Ça fait un moment que vous êtes là… vous ne voulez pas vous asseoir ? il y a assez de la place, vous savez.

Il venait de parler sans pour autant avoir lever la tête, il poursuivait sa lecture car il venait de tourner la page, promenant ses yeux vairons de gauche à droite. Il y a encore une chose que je ne supporte pas chez les hommes, c’est leurs assurances. Ce droit qu’ils pense posséder de commander les autres, de leurs imposer ce qu’ils veulent comme si nous n’étions rien d’autre que des marionnettes. Il avait la même assurance lorsqu’il me demandait de m’asseoir, comme si ce banc lui appartenait, comme si le centre entier était sous ses ordre. Alors que je ne répondais pas, il promena son regard jusqu’à la fin de son ouvrage puis le referma. C’était surement pour retenir la page.

-Bonjour, vous devez être l’infirmière Orianne, le docteur Brad m’a dit que vous aussi vous avez pris soin de moi alors que je ne me réveillais pas. Je tenais à vous remercier, mais vous saisir est aussi incertain que de voir une éclipse solaire.

Il faisait de son mieux pour se retourner, je voyais à ses traits qui se déformait que ce n’était pas partie facile, mais je ne fis rien pour lui faciliter la tâche. Je restais là sans bouger à le voir se débattre, se contorsionner pour encore une fois plonger son regard dans le mien. C’était très rare de voir une personne a la peau noir avoir des yeux vairons, ça avait quelque chose d’étrange et d’attirant. Maintenant, je décelais parfaitement tous les trait de son visage. Il avait un visage fin, d’où brillais férocement les deux cristaux qui lui servait d’yeux, des petites lèvres rouge et d’épais sourcils. Ça faisait mal de l’admettre, mais il était vraiment très beau. De ses yeux, il me scrutait intensément, comme s’il pouvait voir tous les tourments de mon âme. Plus que de la rancune, sa présence me mettait particulièrement mal à l’aise et je ne savais pas pourquoi. Et cela me mettais encore plus hors de moi.

La Maladie d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant