Mais au fond, il n'y a pas d'amis, il n'y a que des complices.
Et quand la complicité cesse, l'amitié s'évanouit.Pierre Reverdy
Après mes révélations, notre relation a pris encore un tournant. Nous n'étions plus qu'un. Nous n'avions plus de secret l'un pour l'autre. Nos boîtes de Pandore ouvertes, nous apercevions enfin qui se cachait derrière le masque. J'étais soulagée de savoir qu'il y avait au moins une personne en ce bas monde qui me connaissait telle que j'étais réellement.
Thibaud, et d'autres d'ailleurs, m'ont souvent reprochés d'être trop distante. Froide, inaccessible, souvent hautaine parfois complètement étrangère à ce qui m'entourait. J'ai entendu ces reproches et je les ai compris. Mais c'est ma façon d'être. Quand nous nous disputions, je disais souvent à Thibaud que je préfèrais être ainsi que de laisser voir aux autres tous les sales sentiments que j'avais en tête. Cette remarque lui était directement adressée et je sais que ça lui faisait de la peine. Lui qui pensais que personne ne voyait rien ... Pourtant les rares personnes extérieures à tout cela et qui l'ont rencontrés m'ont tous dit la même chose : "Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez ce mec".Ils avaient raison. Thibaud ne tournait pas rond, comme le commun des mortels. Sa personnalité était pleine d'aspérités, ne ressemblant à aucune forme géométrique connue. C'était ça qui les dérangeait.
C'était ça qui le dérangeait.
Notre relation était chaotique mais parfois, lorsque la drogue nous laissait un peu de répit, nous nous aimions sincèrement. Je glissais ma tête dans son cou et il me serrait très fort contre lui. Je sentais son odeur, je touchais sa peau et je comprenais que ces contacts là étaient bien plus précieux que ces lignes de cocaïne pour lesquelles nous nous battions. Il m'embrassait longtemps, me racontait son enfance, m'ouvrait les portes de son cœur toutes grandes. Nous parlions de tout et de rien, il aimait connaître mon ressenti sur à peu près tout. Il me disait que j'avais une manière spéciale de voir la vie, que c'était quelque chose qui n'appartenait qu'à moi.
Dans ces bras, j'étais la seule. J'étais unique. La réciprocité de son amour, je le sentais dans le fait que je n'étais pas dans ses bras par hasard. Je savais que c'était ma place, que c'était la place qu'il voulait que je prenne. Pour la première fois de ma vie, j'avais l'impression d'être exactement là où je devais être, et pourtant je n'étais pas en cours, ni en train de faire une découverte majeure sur l'Histoire, ou de lire un magazine intelligent. J'étais dans les bras d'un jeune homme, une clope à la bouche que je laissais se consumer et l'écoutant disserter sur des sujets sans importance. Mais ces instants là, je ne les aurais échangés pour rien au monde.
Mais rapidement, le manque nous lacérait les veines. Il venait s'installer dans nos têtes pour ne plus en sortir. Alors nous nous disputions pour rien, avant de sortir fâchés mais ensemble, et de se trainer dans n'importe quel endroit où on pourrait nous fournir ce dont nous avions besoin. Nous étions des loques, des fantômes à ces moments là. Si nous ne trouvions pas de dealer, nous nous criions en pleine rue, se reprochant des choses ridicules, complètement dans notre délire.
Et puis nous entrions dans un bar, il buvait, je faisais du charme à des mecs et nous trouvions généralement quelques lignes à nous enfiler. Le monde de la drogue m'a appris que j'étais capable de plaire. Thibaud m'a tellement désiré que je me suis enfin sentie désirable et j'ai rapidement compris que je pouvais m'en servir. Accepter qu'un mec pose la main sur mon cul me rendait parfois bien des services. A ces moments là, Thibaud serrait les mâchoires, les poings. Il implosait. Mais il ne disait rien.
Le manque.
Le manque change un homme au point qu'il accepte de voir sa petite amie se faire tripoter s'il sait que ça lui rapportera de quoi se sentir mieux.
Une fois le manque comblé, nous passions des nuits blanches. Nous allions dans son studio, il m'apprenait la guitare, la basse. Les soirées de répétition étaient mes préférées. J'étais la seule fille à avoir le droit de pénétrer dans ce lieu sain. Je passais la soirée à fumer, appuyée contre le mur froid du garage et je le regardais. Je regardais ses doigts glisser sur le manche de sa guitare, son visage si dur d'ordinaire, s'adoucir avec le contact de son instrument. Je regardais ses yeux brillants qui me fixaient et je me laissais bercer par les divines mélodies qu'il composait. Je savais que cette harmonie, ce sentiment de complet ravissement était dû à la drogue. Je le savais intimement et pourtant je m'en moquais. J'avais l'impression de le vivre réellement, par moi même. Je pensais avoir fait un choix, j'estimais avoir réellement choisi de me droguer.
Un soir que je n'avais plus d'argent pour m'acheter ma drogue, j'en demandais à Thibaud. Déjà drogué, il était méchant. Il me répliqua vertement que je n'avais qu'à sucer mon dealeur pour l'avoir gratos.
Je n'hésitais pas longtemps.
Le feu dans mes veines, l'envie dévorante que j'avais de me sentir bien l'emporta. Je suçais cet homme dans les chiottes de la boîte, presque inconsciente tant le manque motivait mes actes. Lorsque j'en ressortis, triomphante, le nez plein, Thibaud me regarda d'un air blessé. Pas dégoûté, juste blessé.
D'ailleurs dégoutée de moi même, je ne l'étais pas. Pas pour l'instant. La cocaïne me faisait oublier l'atrocité de mon acte. Le lendemain, en me réveillant dans les bras de Thibaud, j'ai eu honte. Pourquoi avais-je fait ça ? Moi qui avait tant souffert de donner mon corps à des gens qui ne le méritait pas, pourquoi l'avais-je vendu ? Je me suis mise à pleurer. J'ai pris conscience de la merde dans laquelle j'étais. Ce n'était pas moi cette fille qui vendait son corps pour de la poudre blanche. Je ne voulais pas être elle. Et pourtant je voulais rester près de Thibaud. Je devais être cette fille si je voulais rester à ses côtés. Il n'y avait pas d'autre choix possible. Je devais me droguer. Pour être comme lui, pour être aussi bien. Pour le comprendre.
Thibaud s'est réveillé au bruit de mes pleurs. Il m'a pris dans ses bras.
- Je suis désolé Iris. Je suis désolé mon amour ... c'est de ma faute.
J'entendais à peine sa voix à travers le bruit de mes larmes. Un murmure, tout au plus.
- C'est de ma faute si tu es dans cet état. Tout est de ma faute. C'est moi qui t'ai poussé à me suivre ... Je te promets, je te promets que tant que nous serons ensemble, jamais plus tu n'auras à faire ce genre de choses. Je te le promets.
Suite à ses paroles, je n'ai plus jamais payé une seule ligne de cocaïne. Thibaud a tenu sa promesse. Il a assumé mon état. Jusqu'au bout.
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Rien ne s'oppose à la nuit.
Non-FictionPourras-tu le faire, Pourras-tu le dire, Tu dois tout essayer, Tu dois devenir, Tu dois voir plus loin, Tu dois revenir, Egaré en chemin, Tu verras le pire, Pour trouver le sud, Sans perdre le nord, [...] Pour manipulés, Grand combat de ch...