Chapitre neuf : Simulacre d'une belle journée.

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Who will bring me flowers when it's over
Qui m'amènera des fleurs quand tout sera fini
And who will give me comfort when it's cold
Et qui me réchauffera lorsque j'aurai froid
Who will I belong to when the day just won't give in
Que deviendrais-je lorsque le jour ne sera plus
And who will tell me how it ends and how it all begins
Et qui me dira comment ça se termine et comment ça commence
Don't ever say goodbye
Ne jamais dire adieu
I'm only human
Je suis seulement humain
I'm only human

Je suis seulement humain

Thrithing Ivory, flower for a ghost



Alors il est reparti vivre loin de moi, et mon coeur n'a pas cessé de battre pour lui pour autant. Loin de ma présence, qui constituait le dernier fil ténu qui l'accrochait à la vie, il s'est laissé happé par ses démons.
La différence entre nous, c'est que j'essayais encore de me battre. Il avait abandonné depuis trop longtemps la bataille. Il avait rendu les armes et, dans un délire morbide, aurait voulu que j'en fasse autant. Mais j'ai refusé. A quoi aurions nous ressemblé ? Un couple de torturés, gâchant leur vie et leur potentiel pour aller danser avec le diable. C'était tentant.
Mais ça ne me satisfaisait pas. Je voulais être heureuse. Je voulais être un gladiateur. J'avais suffisement dansé avec le diable. Il était temps de le combattre. J'étais incapable de le faire seule, mais j'y tenais. J'y tenais plus que tout. C'était ma dernière fierté, mal placée certes, mais à mes yeux légitime. J'avais évincé Thibaud toute seule, j'étais capable d'affronter la drogue seule.

Les évènements m'ont prouvés que non.

C'était une belle journée. Le soleil éclairait le ciel entier d'un bleu azur aggressif. Les oiseaux dans le cerisier faisaient un vacarme de tous les diables. J'étais assise en tailleur sur un petit muret de pierre et faisais le plein de vitamines D. Le premier soleil radieux de l'année. Je réfléchissais, Led Zeppelin à fond dans les oreilles. Je savourais ces quelques instants de bonheur simple et pur.
Quel bonheur en effet d'être seule au monde ! Le ciel sans nuages eclipsaient mes soucis, mes tourments. Je ne pensais plus qu'à la caresse du soleil sur ma peau, au pepiement des oiseaux. Je ne pensais plus qu'à moi.
Quelqu'un m'a tapé sur l'épaule. Mon frère. J'ai retiré mes écouteurs en vitesse. En ce moment, nous essayions de renouer le dialogue entre nous et je faisais beaucoup d'efforts. Je n'avais pas envie qu'il se rende compte de la situation dans laquelle j'étais. J'avais honte de lui avouer, à lui plus qu'à n'importe qui. Alors j'y mettais du mien. Je souriais, j'étais là aux heures des repas, je ne fermais plus ma porte à clef. J'avais encore des choses à cacher, mais je l'avais trop tenu à l'écart pour qu'il s'en doute.
Il m'a tendu le téléphone avec un sourire.
- Pour toi.
- Qui est-ce ?
Il a haussé les épaules en s'éloignant. En portant le téléphone à mon oreille, mon coeur s'est serré. Comme un avant-goût.
- Iris ?
La chaude voix de Nicolas me fit sourire. C'était de l'entendre à nouveau. Mais son intonation était froide et vide. Un courant d'air glacé m'a caressé l'échine.
Il a chuchoté trois petits mots. Je lui ai demandé de répéter.
- Il est mort ...
Je reste interdite, la bouche ouverte. Je balbutie, comme pour moi même.
- Ce n'est pas possible ...
Je lâche le téléphone, qui tombe dans l'herbe avec un bruit mat. Je répète encore et encore "ce n'est pas possible", comme si cela pouvait changer quoi que ce soit à la situation. Comment ? Quand ? Pourquoi ? Ces questions m'ont traversées l'esprit mais je refusais de me les poser. Il n'y avait plus que cette rengaine : "Ce n'est pas possible".
L'énergie du désespoir. Quelle énergie ? Je n'en ai plus aucune. Mes jambes se sont mises à trembler sans préavis, mes mains aussi. J'ai froid. C'est comme si le soleil avait disparu. Je ferme les yeux, mais ils restent secs. Comment pourrais-je pleurer ? C'est si dur à croire.
Quelque chose s'est mis à creuser mon coeur à la petite cuillère. Une douleur lente et lancinante. Alors c'est ça la mort. Je ferme les paupières si fort, ma peau me tire. Je me concentre, pour que, quand j'ouvrirais les yeux à nouveau, tout soit revenu à la normale. Je serais sur le muret de pierre, le visage baigné de soleil.
J'ai aperçu une silhouette dans mon champ de vision. J'ai juste le temps de tendre mes bras vers Sam avant de chanceller. Il me rattrape me soutient, me serre contre lui. Je garde les yeux ouverts, grand ouverts, comme pour me persuader que je ne rêve pas. Je ne sens plus mes jambes. J'enfonce mes ongles dans les bras de mon frère, aussi fort que je peux. Mes yeux me brûlent.
J'ai un hoquet, un coup au coeur. Mes paupières papillonnent, je suis en plein cauchemar. Etouffée dans les bras de mon frère, j'ai soudain besoin d'air. Je me dégage violemment, je chancelle jusqu'au jardin. Mes jambes sont faibles et cotonneuses, j'ai l'impression de sortir d'une forte fièvre. Je trébuche sur une racine et m'effondre sur l'herbe rase.
Mes poings enfoncés dans la terre, je pose mon front brûlant sur le sol humide. Ce n'est pas possible, non ce n'est pas possible. Je le répète encore en chuchotant. Ma tête s'est mise à tourner. Pourtant je les sens au fond de ma poitrine. Le chagrin, la souffrance, le désespoir. J'entends le tic-tac de l'explosion. Un flot de sentiments sales, poisseux et noirs. Dans un souffle, j'ai articulé :
- Qu'est-ce que je vais devenir ...
Il ne peut pas me laisser, il me l'a promis. Mon frère s'est agenouillé près de moi, m'a pris par les épaules et m'a attirée contre lui. Je suppose qu'il avait deviné, qu'il avait ramassé le téléphone. J'ai respiré dans son cou, par grandes saccades. Je sens que je commence à réaliser lorsque ma carcasse me parait lourde à porter. Ma poitrine se comprime, pour essayer d'endiguer le choc de l'explosion à venir.
Mon frère me chuchote des promesses, des excuses. Il me parle d'espoir, de fatalité, de renouveau. Il tente de me raconter la fable de la vie, celle qui continue, qui suis toujours son cours. La terre qui continue de tourner, la peine qui s'efface ... Je ne veux pas l'écouter, j'en suis incapable.
Il est mort. Il ne reviendra jamais. Thibaud est mort. J'ai tant misé sur lui. J'ai mis tant de mon coeur dans sa personne. Est-ce qu'on peut encore voir l'amour qui l'entoure ? Bien sûr que non, ce n'est plus qu'un cadavre maintenant. Ses yeux gris ne lanceront plus jamais de flammes. De sa bouche ne sortiront plus aucun mot d'amour. Je ne le verrais plus dessiner, écrire. Je ne pourrais plus jamais coller son coeur au mien. Mon secret restera enterré avec lui. Et tout l'amour que je lui ai donné ... quelle valeur a-t-il maintenant ?
Une plainte lancinante s'échappe de mes lèvres. Je hurle, j'enfonce mes dents dans le cou de Sam.
Je veux mourir aussi. Laisse moi venir avec toi Thibaud. Je te suivrais, où que tu aille, pourvu que je puisse voir ton torse se soulever au rythme de ta respiration. Laisse moi venir, je ne ferais pas de bruit. Je resterais là, à côté de toi. Je prendrais ta main et on ira ensemble. Je te suivrais partout Thibaud, mais ne me laisse pas seule. Ne me laisse pas seule ici. Reste avec moi.
J'hurle, j'hurle à n'en plus finir. Mon frère ne dit rien, il me serre encore plus fort contre lui et me berce, comme une enfant. Mon visage se déforme sous le coup de la douleur, mais il pose sa joue contre la mienne et me souffle des mots d'amour à l'oreille.
Qu'est-ce que je vais devenir sans toi ? Je ne suis plus rien sans toi Thibaud. Tu as été le seul à m'aimer, à me désirer, à me rendre vivante. Tu as pansé mes blessures et tu en a ouvert d'autres. Mais je te pardonne Thibaud, je te pardonne mais reste avec moi. Je suis perdue si tu n'es pas là. Mon amour n'est que pour toi, je t'ai tout donné, il ne reste rien pour les autres. Qui vais-je aimer désormais ?

Ma poitrine a explosé en mille morceaux. J'ai senti des morceaux de coeur exploser contre ma cage thoracique. C'est fini. Il est mort. J'ai cessé d'hurler, ça faisait trop mal.

Ma bouche s'est tordue en un rictus amer. J'ai aggripé mon frère comme une bouée de sauvetage. Je n'avais plus que lui. Ma tête me tournait, quelque chose pesait entre mes deux seins, au commencement de mes côtes. Une boule moite et lourde, qui est remontée dans ma gorge et a soudainement inondé mes yeux.
Je sanglote dans les bras de mon frère, je le serre contre moi au point de l'étouffer. Je pleure comme si on m'avait arraché une jambe. Plus fort encore. J'ai la sensation qu'une longue main froide vient de me ponctionner des morceaux de coeur. Je pleure et ça ne finit jamais. J'inonde la chemise de mon frère, je le griffe, je lui perce les tympans.
Il n'a rien dit. Il m'a caressé le dos en me berçant. Il a attendu avec moi que les larmes cessent, il a attendu des heures.

Au dessus de nous, le soleil a continué de briller dans le ciel sans nuages. Les oiseaux chantaient, les fleurs du cerisier s'éparpillaient dans les airs en dansant avec le vent.

C'était une belle journée.



NOTE DE L'AUTEUR :

Encore merci à ceux qui me laissent des gentils petits commentaires et à ceux qui votent ! Vous les petits fantômes, je vous aime bien mais vous savez, vous avez le droit de vous manifester, personne ne mords ici ! Et j'adore avoir votre point de vue et répondre à vos questions.

Petit dialogue avec moi même : il est étrange que j'ai retapé ce chapitre aujourd'hui ... le soleil brille, c'est une des plus belles journées qu'on a depuis le début de l'année. Comme quoi le destin se répète ...


Rien ne s'oppose à la nuit.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant