Chapitre trois : Ne vois-tu rien venir ?

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J'suis un mannequin glacé,
Avec un teint de soleil,
Ravalé, Homme pressé,
Mes conneries proférées,
[...]
Je suis un militant quotidien,
De l'inhumanité,

Noir désir, L'homme pressé. 

Sa manière à lui de sentir qu'il était vivant, c'était de faire des conneries. Trop boire, trop fumer. Il faisait tout à l'excès et je redoutais sans cesse qu'il ne se mette dans une entreprise qui le dépassait. A l'époque où je l'ai rencontré, il avait tout juste commencé les drogues dures. Ces choses là sont intéressantes, pour ceux qui savent se mettre des limites. Mais lui, il n'avait peur de rien ni personne et surtout, il voulait que tout le monde le sache. Alors il faisait les choses bruyamment, et surtout il ne les faisaient pas à moitié.
Son humeur était changeante et j'ai eu de nombreuses fois à souffrir de son comportement lunatique. Un jour il m'accueillait avec le sourire aux lèvres, ses bras grand ouverts pour que je me blottisse dedans. Le lendemain, il pouvait me tourner le dos sans raison apparente. J'en ai énormément souffert.
A travers ce comportement, il se protégeait de mon éventuel abandon. Et cette facette de son caractère, déjà pénible était encore plus marquée lorsqu'il se droguait.
Nicolas m'a beaucoup aidé à le comprendre, à l'accepter surtout. Il fallait voir en chaque disgrâce le signe qu'il tenait à moi, et par crainte de me perdre, il mettait de la distance. J'ai essayé de toutes mes forces de comprendre son fonctionnement, de l'accepter. Mais je ne pouvais m'empêcher d'essayer de le brusquer.
Thibaud possédait aussi un charisme hors-norme. Bien que détestable, on ne pouvait s'empêcher de l'admirer, de l'envier même. Tous ses gestes respiraient la confiance en soi. Ce n'est que lorsque j'ai été victime de ses colères, de ses pleurs, que j'ai su que cette apparente confiance n'était qu'un masque destiné à tromper.
Tromper les autres certes, mais surtout à se tromper lui-même. A dompter ses peurs, pour que personne ne s'en doute. Son passé, ses émotions et sa fragilité étaient perçus comme autant de faiblesses.
Fallait-il être fort pour être libre du regard des autres, de leur jugement ? Ou bien mettait-il un point d'honneur à ne rien laisser transparaitre pour se libérer de son propre jugement ?
Après quelques semaines en leur compagnie, je n'étais toujours pas tombée amoureuse de lui. Ou plutôt, je l'étais mais je refusais de me l'avouer. Il mettait tout en œuvre pour me faire craquer. Il n'avait que la victoire en tête.
Et moi j'étais là, amoureuse déjà, comme une pauvre idiote qui ne connaissait rien de l'amour. 
Mais je voulais gagner et je n'en ai jamais rien montré. Je suis aussi douée que lui au petit jeu des apparences. Davantage sûrement, puisque je ne ressens pas les choses avec la même violence. Mes émotions sont ainsi plus faciles à cacher, à maitriser.
Je refusais stoïquement ses avances, je me reculais lorsqu'il frôlait mes lèvres. J'étais persuadé d'avoir en face de moi l'homme idéal. Beau, intelligent, presque inquiétant tant il semblait parfaitement torturé. Et malgré le fait que j'étais déjà assez mature pour mon âge, je me fis embarquer dans son jeu. Il l'avait prédis et il avait eu raison.
Nous discutions des heures et parfois, il abandonnait totalement le jeu de la séduction. Mais c'est lorsqu'il ne me draguait pas que je tombais le plus amoureuse de lui. Il était passionné, vivant, lucide. Il s'interrogeait sur n'importe quel sujet, savait me décrire l'Islande sans y être allé, me confiait ses rêves, me montrait ses dessins ... Il me faisait petit à petit entrer dans son univers. Je me rendais rapidement compte que je faisais partie des rares privilégiées à qui il parlait.
Pourquoi moi ?
Dans un premier temps, j'en ai amèrement conclu que ces rendez-vous en tête à tête ou avec son frère n'existaient que dans le but de gagner son pari. Une fois que je craquerais, il cesserait de me voir tout simplement. Qu'avais-je de si exceptionnel ? Je n'avais pas ma place aux côtés de cet être fantastiquement doué, moi la pauvre gribouilleuse d'histoires. Oh bien sûr, il y avait des choses qui me passionnaient et dont je lui faisais part : l'histoire, la politique, l'art, la musique. Mais mes connaissances et ma vision des choses me paraissaient si fades par rapport aux siennes ...  
Je l'accompagnais partout. Je séchais même les cours pour aller avec lui sur les quais, le regarder peindre l'eau qui scintillait. Il amenait des bières et nous fumions du shit en se racontant nos vies.
Je cachais mes yeux transis d'amour lorsqu'il m'emmena en soirée. Ce qu'il appelait les « vraies » soirées. Des mecs se faisaient un rail de C sur la table de la cuisine, pendant que d'autres gobaient des trucs, peu importe lesquels.
Je trouvais ce monde fascinant, vu à travers mes yeux d'adolescente influençable et j'y plongeais, bien évidemment, la tête la première.

Rien ne s'oppose à la nuit.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant