9 : Oubli

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Barbe Violette éclaircit sa gorge, certainement encrassée par quelques poussières d'étoile.

— Je suis bien ton ami imaginaire, dit-il.

— Pourquoi avoir choisi le prénom "Barbe Violette" ? commente Evan.

Je hausse les épaules.

— Parce que c'est trop stylé d'avoir une barbe violette.

— Bon point, accorde-t-il.

Le pirate reprend :

— Je n'ai pas changé depuis la dernière fois que tu as joué avec moi. Il y a fort longtemps.

— Alors tu existes réellement ? On peut vraiment te voir, et te toucher ?

— En effet.

— D'où viens-tu ? Et comment Evan peut-il te voir ?

Il détourne le regard un instant, remet en place la manche de son manteau céleste. Evan nous écoute, muet.

— Je ne peux pas le dire. Tout ce dont je peux t'assurer, c'est que je viens d'un autre monde. Et ce monde-là, tu ne peux pas l'imaginer.

— Comment ça, tu ne peux pas le dire ? C'est suspect.

Il met la main devant sa barbe, comme s'il voulait empêcher les mots de sortir.

— Il y a des choses qu'il vaut mieux laisser secrètes. Vous devez savoir le moins de choses possible sur cela. Sinon, les enfants ne pourraient plus avoir d'amis imaginaires... Oups, j'en ai trop dit.

Que veulent dire ces paroles énigmatiques ? Il semblerait que ce qui nous arrive fasse partie de quelque chose de plus grand, qui nous dépasse à l'heure actuelle.

— Bref, tout ça pour dire que je suis resté coincé des années et des années dans ce monde, enchaîne Barbe Violette, le nez plissé. Tout ça parce que tu m'as oublié.

Son œil unique revient vers moi. Il attend une réaction.

— Mince, je... Je ne savais pas que t'oublier te ferait du mal. A vrai dire, je ne savais même pas que tu étais réel.

— Evidemment, que tu ne le savais pas. Aucun enfant ne doit le savoir. Mais ça n'empêche pas le fait qu'un jour, tu as arrêté de penser à moi, d'un seul coup. Et tu m'as abandonné, sans jamais revenir sur nos aventures palpitantes... Dis-moi, est-ce qu'en me voyant, au moins, tu te rappelles de ce que nous avons fait ensemble ?

Lentement, le ruisseau de mes souvenirs coule, et recouvre peu à peu les galets que j'avais laissés de côté depuis des lustres.

— Ça y est, ça me revient. J'adorais récolter des cristaux de glace dans les anneaux de Saturne... Et échapper aux trous noirs, à bord de notre navire à voiles solaires ! Et naviguer en plein milieu des tempêtes de Neptune...

— Ah, oui, Neptune et ses nuages bleus, soupire-t-il.

Evan intervient.

— Est-ce que ça veut dire que cette chose qui nous poursuit est aussi un de tes amis imaginaires ? Et l'araignée géante ?

— Ils proviennent du même monde que moi, mais je pense que vous avez dû comprendre qu'ils sont plutôt des sortes d'ennemis imaginaires.

Ah, ça oui, on l'a bien compris.

— Alors qui sont ils ? je demande. Cette chose qui frappe aux murs, qu'est-ce que c'est, précisément ?

— Cette chose n'a pas de nom (ou plutôt, elle en a des centaines, appelez-la comme vous voulez). Elle cherche à venir dans votre monde, cependant elle est trop grande pour passer à travers les placards ou les dessous de meubles. Tant qu'elle est de l'autre côté, elle peut arpenter les murs et les plafonds, interagir avec les objets qui y sont accrochés, mais rien de plus. Alors elle essaie, par tous les moyens, de vous aspirer dans son monde.

La chose qui frappe aux mursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant