12 : Cauchemar

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Je reste devant ce dessin, comme un ordinateur en train de planter. Je m'y vois, grossièrement dessiné au feutre violet. Au-dessus de ma tête souriante, les huit pattes longilignes de mon amie imaginaire se courbent en un pont qui m'entoure, me protège comme un cocon. Elles sont reliées à son corps, un rond noir avec un visage, tout sourire lui aussi. Je ne comprends pas cette manie que j'avais de représenter tout ce que je trouve avec un visage expressif. Je savais pourtant bien à l'époque que les araignées avaient plein d'yeux globuleux et des mandibules poilues.

Je comprends maintenant pourquoi elle était là, dans ma chambre.

Le fait que mon amie imaginaire était une araignée ne m'étonne pas plus que ça. Tous mes amis étaient bizarres et fantastiques. Et bien que les araignées avaient mauvaise réputation chez les enfants de mon âge, moi, je les trouvais plutôt fascinantes. J'aimais leur façon de marcher, tellement différente des autres animaux, tellement assurée et méthodique. Je m'amusais à m'asseoir à côté d'elles quand j'en trouvais, causant au passage de nombreuses crises de panique chez mes parents.

Mais l'araignée qui se trouvait dans ma chambre, était-elle réellement Zoé ? Je ne sais même pas si le Barbe Violette que nous avons rencontré dans la salle de bains était le même que celui qui partageait l'ennui des longs week-ends de mon enfance. Je ne sais même pas si le Croque-mitaine est bien le Croque-mitaine, ou un genre de démon qui se plaît à jouer avec mes souvenirs. Qu'est-ce qui est réel, et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Est-ce que tout ça n'est qu'un cauchemar insensé ?

Ils font sûrement tous partie du même camp, et cherchent à tout prix à nous dévorer vivants.

Non, ça ne tient pas debout. L'araignée ne nous a pas du tout attaqués. Le pirate nous a donné un indice précieux qui nous a mené à découvrir le secret du Croque-mitaine. Tout au plus, ces trois entités travaillent indépendamment. Mais pourquoi sont-elles toutes ici en même temps, ce soir ? Qui est ami et qui est ennemi ?

Ce qui m'étonne, c'est que j'aie pu réussir à oublier Zoé, elle qui était ma meilleure amie. Bien que Barbe Violette m'entraînait dans l'espace, un espace infini de jeu et de création, je la préférais nettement. Et pourtant, je ne jouais pas avec elle. Avec elle, je ne m'imaginais aucune excursion dans aucun endroit féerique ou dangereux. Je ne faisais que me blottir contre son corps pelucheux quand j'étais triste, ou me confier à elle, pendant des heures et des heures, seul dans ma chambre. Je me rends compte maintenant à quel point sa présence, même imaginaire, a été bénéfique pour mon équilibre mental.

Très drôle, Alex, de parler d'équilibre mental, quand tu parles d'une bestiole géante que tu as inventée dans ta tête pour te consoler. Bestiole qui serait en réalité vivante et tangible, c'est bien ça ? Bien sûr. Tout ça n'est qu'un ramassis de bêtises, voilà ce que c'est. Tu es en train de devenir fou. Tu es en train d'oublier que tu es en train de devenir fou, en plus d'oublier ton araignée. Tu as littéralement une araignée au plafond.

Non, ce n'est pas possible. Je ne peux pas être fou, Evan est là, à côté de moi, et lui, il est réel, lui, je sais que je peux le toucher sans craindre que mon cerveau parte en fumée... N'est-ce pas ?

Et si lui aussi n'était pas réel ?

Un mal de crâne s'installe, un mal à l'aise dans mon encéphale, assis confortablement entre mon hypothalamus et mon lobe limbique. Mon cerveau est son canapé moelleux.

Mon souffle s'emballe.

— Qu'est-ce que tu as ? s'écrie Evan.

Il jette un œil sur le dessin froissé, met ses mains sur mes épaules.

— Qu'est-ce qu'il y a, Alex ?! Dis-moi !

— J'ai l'impression que tout disparaît, Evan. Que tout disparaît et que je ne peux rien y faire.

La chose qui frappe aux mursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant