Chapitre 1

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Oikawa se réveilla en sursaut.

Il se redressa d'un coup, paniqué, en sueur, encore à moitié dans son cauchemar, seulement pour se faire accueillir par le décor de sa chambre plongée dans l'obscurité. Un coup d'œil à son réveil lui apprit qu'il était deux heures vingt-huit du matin. Il porta une main à sa poitrine, essayant de réguler sa respiration, mais son cœur continuait de battre à une cadence effrénée.

-Qu'est-ce qu'il fout, marmonna-t-il entre ses dents.

Il quitta son lit, se débarrassant des couvertures à la hâte pour tituber jusqu'à sa salle de bains. Il s'appuya un instant au lavabo en attendant que les étourdissements passent, puis secoua la tête pour se remettre d'aplomb ; il ouvrit brutalement un tiroir pour en tirer une boîte de médicaments et fit tomber deux cachets dans sa paume ouverte. Il jeta un œil au miroir qui lui faisait face, et qui lui renvoya un reflet peu flatteur –joues livides et cheveux collés- puis opta pour un troisième cachet. Il les renversa dans sa gorge, se remplit un gobelet d'eau pour les faire passer, et revint vers son lit.

-Ça va ? marmonna une voix ensommeillée.

-Ouais. Rendors-toi.

Il se rallongea, retrouvant la chaleur bienvenue des couvertures. Les cachets devaient faire effet assez vite, et il pourrait se rendormir ; même si c'était toujours déplaisant de devoir subir ça en pleine nuit, c'était toujours mieux qu'au sport ou lors d'une sortie.

Une main fine aux longs ongles se posa sur son bras, et il aperçut un regard ensommeillé se pencher sur lui :

-T'as mal quelque part ?

-Non.

-C'est... Ton âme sœur, alors ?

Oikawa aurait voulu que sa conquête du soir soit un peu moins curieuse. Il se mit en note mentale d'écrire sur son profil qu'il cherchait des plans, pas des confesseurs.

-Peut-être bien.

Il ne sonnait pas tout à fait convaincu lui-même, mais ça suffit à la fille du soir. Il entendit le bruit mou que fit son corps quand elle se laissa retomber sur le matelas ; les cachets commençaient à faire effet, mais pas encore assez à son goût, et il sentit les migraines revenir quand elle déclara sans préambule :

-T'as de la chance. Mon âme sœur... Elle m'a rejetée. Définitivement. Je ne sens plus rien venant d'elle.

-T'appelles ça de la chance ? rétorqua Tooru sans se retourner. Sans les annihilateurs, ce serait invivable.

Une onomatopée douloureuse lui tint lieu de réponse, qui le laissa strictement de marbre, et il réfréna un soupir quand elle se remit à parler :

-Mon âme sœur. Je l'ai rencontrée quand j'avais quinze ans, mais elle en avait déjà dix-neuf. On prenait le même bus tous les matins. Je l'ai sentie le jour où quelqu'un lui a marché sur le pied –j'ai eu mal pour elle, on a crié en même temps, on s'est regardées, et... et rien de plus. Quand je suis allée lui parler, elle m'a dit qu'elle avait déjà un copain, et qu'elle ne croyait pas aux âmes sœurs. Maintenant, ils sont mariés. Et c'est tout. J'ai continué à ressentir ses émotions un moment, puis ça s'est étiolé jusqu'au néant. C'est vraiment pathétique, comme histoire.

-Ouais.

Oikawa avait franchement envie de dormir. Il n'était pas encore trois heures, il pouvait encore récupérer un peu avant d'aller faire son jogging ; du moins si cette greluche voulait bien cesser de parler, ce qui n'était visiblement pas dans ses projets :

-Et toi ? C'est elle qui t'a rejeté, aussi ?

-Non. C'est moi.

-Pourquoi ?

Exaspéré, Tooru daigna se retourner pour lui lancer un regard glacial :

-Ecoute, il est un peu tard pour le blabla post-baise. Je te rappelle que tu dégages quand je me lève, donc tu ferais mieux de profiter encore un peu de mon lit.

Cela suffit à la faire taire, et Oikawa ferma les yeux en espérant atténuer la douleur dans son crâne. Il essaya de se rappeler son cauchemar, mais était trop réveillé à présent pour s'en souvenir clairement, n'en gardant que quelques sensations de peur et de confusion. Un instant, il hésita à saisir son téléphone, à écrire un message, juste comme ça, juste au cas où... Puis il se ravisa. Les âmes sœurs, ça ne le concernait plus.

Il ne se rendormit pas vraiment, et somnola, à moitié abattu par les cachets, jusqu'à ce que son réveil se mette à sonner. Il se leva sans un regard en arrière, enfila un jogging et un T-shirt de sport, puis se dirigea vers sa cuisine pour grignoter un truc avant d'aller courir ; sa conquête de la veille fit son apparition au moment où il mettait son mug dans le lave-vaisselle.

-J'y vais, dit-elle en récupérant son sac à main.

-Salut, dit Oikawa sans la regarder.

Il entendit ses talons claquer le long de son couloir et la porte se refermer, et n'attendit pas bien longtemps avant de descendre à son tour pour aller faire son parcours habituel. L'air frais dans ses cheveux et sur son visage lui faisait du bien, la continuité de l'effort créait un rythme apaisant. Il garda ses foulées régulières, le dos droit, le menton levé, son souffle dessinant de petits nuages de vapeur tandis qu'il arrivait à la moitié de son objectif.

La deuxième moitié de la course vit son état se dégrader, cependant –mais Tooru savait que ce n'était pas de lui que venait le problème. Il se força tout de même à trottiner jusqu'au bas de sa résidence, et remonta lentement les escaliers, de nouveau assailli par des maux de tête et des courbatures. Il n'arrivait pas à démêler de sentiments clairs en lui, sentait juste quelque chose peser dans sa poitrine de manière lourde, déplaisante et impossible à ignorer ; il prit une nouvelle dose d'annihilateurs avant de se glisser dans la cabine de douche.

Il s'habilla pour la journée –jean noir savamment élimé, T-shirt à longues manches d'un gris sombre et soyeux- et était en train de sécher ses cheveux quand on frappa à sa porte. Il laissa la serviette autour de son cou, un peu déçu de ne pas avoir eu le temps de styliser ses mèches avant d'ouvrir, et remarqua en passant que la fille de la nuit lui avait laissé son numéro –inscrit à la hâte sur un bout de papier posé sur son meuble d'entrée. Il n'eut pas le temps de le déchirer qu'on toquait de nouveau à sa porte, plus fermement cette fois.

-Ouais, je suis là, répondit-il de mauvaise grâce.

Il ouvrit, et changea radicalement d'expression en voyant des uniformes de police. Deux officiers se tenaient devant sa porte, l'air grave. Le sentiment de malaise réapparut –le sien, cette fois.

-Oikawa Tooru ? demanda l'un d'eux.

-Oui, c'est moi, répondit-il malgré la sécheresse soudaine dans sa gorge.

-Je suis content que vous soyez là. Nous allons avoir besoin de votre coopération.

Oikawa déglutit difficilement.

-Ma... coopération ? Mais pour quoi ?

Les agents échangèrent un regard sombre, et Tooru ne put que faire le lien avec ce qui s'était passé durant la nuit, les soudaines manifestations. Ce n'était pas pour lui qu'ils étaient là. Un des policiers lui tendit une photo, et il la saisit avec des doigts tremblants, reconnaissant immédiatement le garçon sur le cliché.

-C'est votre âme sœur ?

-Oui, répondit-il la gorge nouée.

L'agent inspira, puis fit un signe de tête à son collègue et reporta son regard sur Oikawa, rivant ses yeux aux siens :

-Il est porté disparu, et la piste criminelle est privilégiée. Nous avons besoin de vous pour le retrouver avant qu'il ne soit trop tard. Nous vous expliquerons tout à l'intérieur, si vous nous permettez d'entrer –chaque heure compte.

Oikawa resta figé sur place, incapable de parler, incapable d'agir, incapable de détacher ses yeux du papier glacé qu'il tenait toujours dans sa main, et sur lequel se dessinait le visage de Kageyama Tobio.

RésonanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant