Chapitre 8.5

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Iwaizumi et Oikawa rompirent peu après l'histoire du match de Katsuko, et Oikawa le vécut extrêmement mal. Iwaizumi avait la décence de ne pas s'afficher immédiatement avec son âme sœur, et Tooru espéra qu'il souffrait de leur rupture, au moins un peu.

Peut-être que tu devrais retourner vers lui. C'est juste naturel, après tout. On est faits pour ça.

Il aurait suffi à Oikawa d'envoyer un message à Kageyama pour se remettre en contact. Ils auraient pu passer du temps ensemble, trouver quelque chose à faire et renforcer leurs liens. Oikawa était sûr que malgré leurs différends, tout se serait déroulé à merveille –puisque c'était dans l'ordre des choses qu'ils aillent l'un avec l'autre.

Mais il refusa. Par fierté, pour montrer à Iwaizumi qu'il pouvait résister à la tentation, lui. Par esprit de revanche, pour lui prouver qu'il n'avait pas besoin de suivre ses prétendus conseils. Par amour, en se convainquant que l'homme de sa vie resterait toujours Iwaizumi, peu importe si le destin avait écrit son nom à côté de celui de Tobio.

Il n'y avait qu'une solution. Partir, partir aussi loin que possible, couper tous les liens qui l'attachaient aux gens qui l'entouraient. Il avait pour projet d'entrer dans une ligue étrangère, et il força un peu le cours des choses pour intégrer une équipe en Argentine, mettant entre Tobio et lui une distance qui, espérait-il, faciliterait l'étiolement de leur lien. Il l'avait rejeté depuis presque un an, il était temps que sa sensibilité commence à s'amenuiser.

C'était ce qu'il se disait. Mais le destin n'abandonnait pas si facilement. Malgré lui, Oikawa se surprit souvent à chercher les matchs de Tobio pour les regarder en ligne, suivant les progrès de son cadet, année après année. Il vit les Jeux Olympiques à la télévision, vit Tobio sélectionné dans l'équipe nationale à dix-neuf ans à peine, plantant des aces dans le terrain des adversaires –son image affichée devant lui comme si le karma en personne se moquait de ce lien rejeté sans être rompu.

Le coup de grâce fut la rencontre avec Hinata au Brésil. Le meilleur ami de Tobio lui-même, qui arrivait dans sa retraite étrangère pour lui parler de Kageyama.

-Tu as vu ses derniers matchs ? s'exclama le rouquin avec passion.

-... Nope, répondit Tooru, même s'il se doutait qu'Hinata ne serait pas convaincu.

En vérité, en plus de suivre les matchs de Tobio avec assiduité, il ressentait toujours ce qui provenait de son cadet. Joie, tristesse, blessure, maladie, il les subissait avec lui –moins intensément grâce à la distance, mais même trois années plus tard, le lien refusait de se rompre. Quand Tooru vit qu'Hinata envoyait le selfie qu'ils avaient fait à Kageyama, il ne put s'empêcher de penser que Tobio devait ressentir la même chose –qu'Oikawa, malgré la distance, lui était rappelé encore et encore.

Il revint au Japon après quatre ans passés en Argentine. La douleur de la rupture avec Iwaizumi était toujours présente, mais ternie, supportable, presque lointaine. De ce qu'il avait vu, Hajime s'était marié avec Katsuko –pas besoin d'attendre longtemps pour s'unir officiellement, quand on était sûr d'être avec la bonne personne. Tooru prit donc un vol pour Sendai, arrêta son contrat avec San Juan, et rentra malgré l'appréhension de revoir Tobio ; retrouver sa famille et ses racines lui ferait du bien.

Il prit un appartement, et chercha un petit boulot en attendant d'avoir un contrat pour la saison prochaine. La soudaine proximité lui rappela combien le lien avec Kageyama était fort en dépit de n'avoir jamais abouti –et Tobio adulte avait une collection d'émotions et de sensations plus évoluée que sa version adolescente. Oikawa redevint le sujet de tous ces ressentis –prenant des cachets quand Kageyama avait mal à la tête, s'enveloppant dans ses couvertures quand il avait froid. Il y eut même une fois où Tobio se retrouva d'une manière ou d'une autre tellement ivre que Tooru se retrouva malade à sa place. Au fond, ce n'était pas si déplaisant. C'était toujours une espèce de compagnie. Même sans se voir et sans se parler, même s'ils avaient refusé des années plus tôt de se donner une chance, en quelque sorte, ils vivaient ensemble.

Tooru craqua, une fois, une unique fois, et alla dans le sens du destin. L'équipe de Tobio, les Adlers, avait match à domicile contre les Jackals –et l'occasion était trop belle pour ne pas se glisser dans le public et suivre tout ça de près. Il parvint à esquiver tous les anciens joueurs de sa connaissance malgré leur nombre effarant, et s'assit dans son coin, songeant avec amertume qu'à l'époque où il était venu dans ce gymnase voir Shiratorizawa contre Karasuno, Iwaizumi était encore à ses côtés. Peut-être celui-ci était-il dans la salle, d'ailleurs ; mais Tooru se força à ne pas le chercher des yeux, et ceux-ci se portèrent naturellement sur Kageyama de toute façon.

Il avait évolué, mais restait toujours le même –prodigieux, glorieux, contrôlant le terrain comme personne, sublime dans toute sa jeunesse et sa prouesse. Il avait la confiance de ses coéquipiers, il jouait toutes ses cartes avec brio, accomplissait chaque geste avec une technique impeccable. Dans tous les sens du terme, il était magnifique, et Oikawa resta bouche bée, ressentant en même temps que lui chaque action, chaque décision, chaque intuition.

Kageyama dut sentir sa présence, lui aussi affecté par la soudaine acuité de ses perceptions. Lorsqu'il quitta le terrain après le match pour s'étirer avec ses coéquipiers, il sembla à Oikawa qu'il cherchait quelqu'un dans le public –et finalement, leurs yeux finirent par se rencontrer. Ce fut comme un électrochoc, l'un et l'autre percevant leur surprise mutuelle, incapables de se dissimuler qu'au fond, ils étaient heureux de se retrouver.

C'est alors que le numéro 5 des Adlers, Nicolas Romero, un champion d'envergure mondiale que Tooru avait admiré et admirait toujours, surgit à côté Tobio ; il lui ébouriffa les cheveux, puis lui passa un bras autour des épaules pour le coincer contre son torse. Le visage de Kageyama vira au rouge vif tandis qu'Hoshiumi éclatait de rire, et il se tourna vers le coupable pour marmonner quelque chose, rompant le contact visuel avec Oikawa. Celui-ci restait planté là, regardant sans le voir Romero répondre quelque chose en portugais, puis coller un baiser sur la tempe de Tobio.

Il n'en supporta pas davantage. Comme ce jour-là où il avait vu Iwaizumi s'éloigner de lui, il préféra s'en aller. Visiblement, la place était prise.

Oikawa décida de renoncer pour de bon. Si ce lien ne voulait pas se résorber de lui-même, alors il le forcerait. Il se rendit en pharmacie pour se procurer des annihilateurs –de quoi le protéger de tout ressenti extérieur pendant quelques heures et éviter de vivre à travers Tobio. S'il continuait à percevoir tout ce qui lui traversait la tête, il ne pourrait jamais passer à autre chose, et leur connexion était trop tenace pour simplement se défaire malgré ses efforts. L'idée que le bonheur qu'il ressentait par procuration venant de Tobio était causé par un autre que lui le faisait souffrir. Tout ce qui venait de Tobio, à un certain point, le faisait souffrir.

Il s'inscrivit sur des sites de rencontres éphémères pour se distraire, décrocha un petit emploi pour s'occuper l'esprit en journée, et fit usage des cachets chaque fois que Kageyama se manifestait, décidé à bloquer complètement cette existence pourtant liée à la sienne, mais visiblement reniée des deux côtés.

Cette vie était triste, mais c'était tout ce qu'il avait. Une drogue pour croire qu'il n'avait pas d'âme sœur, quelques heures de plaisir avec des inconnus, le regret d'avoir perdu l'essentiel à cause de sa satanée fierté. Peut-être finirait-il par trouver quelqu'un qui n'avait pas d'âme sœur et trouver du bonheur en amour malgré tout... Il ne voulait plus entendre parler de ces liens, il n'en voulait plus. Vivre sans était la meilleure chose à faire, et ce fut la ligne de conduite qu'il s'imposa.

Jusqu'au jour où la police frappa à sa porte.

RésonanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant