Ciel fissuré d'éclairs parsemés. Calme envolé par le tonnerre assourdissant. Paysage noyé d'une averse effrénée. Déséquilibre fracassé d'un cyclone puissant.
À la lumière clignotante de l'appentis des urgences, une scène que certains auraient qualifiée de mystique se jouait dans les étoiles. La colère des Dieux pour les superstitieux, l'ouragan Katrina pour les rationnels.
Assise à l'abri du déluge, Lyn observait ce spectacle, recroquevillée sur elle-même. Tremblante de la tête aux pieds, elle avait ramené ses genoux contre sa poitrine. L'angoisse envahissait tout son corps, la pétrifiant à mesure que le temps s'écoulait.
Comme tout l'hôpital, la jeune femme savait ce que cette tempête signifiait. Le vacarme des sirènes amoindri par le bruit de la tourmente. Les blessés hurlant de douleur et criant de peur. La mort pénétrant les grands remparts de la ville. Et la crainte de chaque minute à chaque seconde.
En silence, Lyn observait le monde se dérober par la seule puissance des éléments déchaînés. Retourner à l'intérieur, enfiler sa tenue et n'être plus que l'ombre d'elle-même jusqu'à ce que le temps s'arrête, son destin était déjà tracé.
Pourtant, elle attendait là que ses prières soient écoutées, qu'on l'entende crier de désespoir, qu'on lui vienne en aide. Carolyn ressentait la peur comme jamais auparavant. Un paradoxe. En tant que médecin en dernière année d'internat, son rôle consistait à rassurer ses patients et non pas à être alarmée autant qu'eux.
Du revers de sa manche, elle essuya la larme qui coulait le long de sa joue. La jeune femme souffla un bon coup et se releva non sans vaciller. Se trouvant à quelques pas derrière elle, Daniel la rattrapa presque aussitôt.
« Merci, Dan.
— Je comprends que tu sois affolée, mais on a tous peur. Tu crois que je n'ai pas envie de pleurer quand je vois le nombre de patients arriver ? On est humain, mais ici on doit être des héros.
— Je sais, souffla-t-elle à demi-mot. »
Une minute s'écoula pendant laquelle Lyn resta appuyée la tête contre le torse de Daniel. C'était son pilier, sa force pour affronter ce qui les attendait. Une amitié commencée dès le premier jour. Une évidence.
« On doit y aller. C'est l'heure, rompit le silence Daniel. »
Tous deux se détachèrent l'un de l'autre non sans ressentir le froid que le vide dégageait. Lyn se retourna pour faire face à Dan et une bourrasque vint ébouriffer ses cheveux. Une trentaine de secondes, les yeux dans les yeux, ils s'échangeaient un regard qui en disait long sur des maux jamais énoncés.
Un demi-sourire plus tard, ils pénétraient de nouveau dans l'antre de la terreur où le chaos logeait. Les portes automatiques refermées derrière eux, le temps reprit son cours.
Devant eux, médecins et infirmières se bousculaient en courant à toute vitesse. En sous-effectif depuis le début de la crise, l'hôpital peinait à garder le contrôle sur la situation. Une dure vérité que les hauts gradés tentaient de dissimuler alors que tous étaient déjà au courant.
Se remettant dans le bain, Carolyn imita Daniel et passa sa tenue. En temps normal, elle se sentait fière de porter sa blouse, mais pas aujourd'hui. Ce vêtement ne lui rappelait que trop bien les vies perdues et le sentiment de vide qui prenait place dans son cœur.
Une nouvelle garde commençait. Et jusqu'à la prochaine, elle devait tenir bon et apporter un peu de répit à ses patients dont la douleur devenait insupportable.
Accoudé à l'accueil, Brook, le troisième mousquetaire, observait les lits occupés. L'ouragan Katrina avait été le plus dévastateur de ces précédentes décennies. De quoi en affoler plus d'un. Mais pas Brook.
Major de sa promotion, il faisait partie des meilleurs. En dernière année, tout comme ses deux camarades, son avenir était déjà tracé. Travaillant sur l'un des plus prometteurs essais cliniques, sa carrière démarrait sur les chapeaux de roues.
Tandis que beaucoup le vénéraient, il restait humble et n'hésitait pas à aider ses pairs. Rien ne sert d'être le meilleur pour les autres, quand on peut être quelqu'un de bien.
Aujourd'hui, dans le vacarme incessant des informations diffusées et les allées et venues du personnel de l'hôpital, Brook gardait son calme. Du coin de l'œil, il vit Daniel tout tenter pour réanimer sa patiente.
De la sueur dévalait de son front, ses traits tirés crispaient son visage, mais ses mains sûres savaient exactement quoi faire. Tous retenaient leur souffle durant la procédure au risque de le perturber.
Plusieurs minutes passèrent sans qu'aucun signe de faiblesse n'émane de Dan. Il était concentré sur son massage cardiaque même si celui-ci lui pompait peu à peu toute son énergie.
Lorsque le bip interminable parvint à ses oreilles, Dan prononça le décès, déçu de lui-même. Baissant la tête, il s'éloigna du brancard à reculons et jeta ses gants au sol. Les mains posées sur ses hanches, cette mort l'éprouvait.
La perte d'un patient était un événement que chaque praticien avait eu à affronter au cours de sa carrière. Et plus d'une fois. Mais jamais, on ne leur avait expliqué comment se relever après une telle chute.
Le médecin prodige s'avança et tapota son épaule. Un moyen de montrer qu'il comprenait le chagrin de son camarade. Daniel le regarda, la mine déconfite et profondément peinée.
La seule certitude, que tout le personnel partageait devant cette scène, était que cet ouragan laisserait des traces indélébiles hantant pour toujours cet hôpital de quartier.
Ne jetant pas l'éponge, Daniel secoua la tête de droite à gauche pour chasser ses pensées déprimantes et enfila une paire de gants neuve. L'unique moyen de ne pas sombrer : se remettre en selle immédiatement.
Une nouvelle vague de blessés arriva et Brook sauta sur l'occasion pour faire pencher la balance. Il changea son masque et partit accomplir son devoir comme le médecin hors pair qu'il était.
Cataclysme. Durant une heure, les arrêts cardiaques se multiplièrent et le service des urgences fut vite saturé. Carolyn, Daniel et Brook se démenaient pour sauver les patients, mais ils se heurtaient à plus fort qu'eux. La mort.
Puissante, dévastatrice, elle emportait tout sur son passage tel un tsunami en colère. La rage se ressentait où quiconque allait. Même les corbeaux qui n'en étaient que le signe le plus évident ne s'aventuraient pas dans ses eaux.
Dans l'antre du chaos, une nouvelle vie venait de le leur glisser entre les doigts, lorsqu'ils furent interrompus par des cris et des pleurs émanant de la porte d'entrée. Ne faisant qu'un, les trois médecins se retournèrent d'un seul bloc vers la provenance du bruit.
______
J'espère que ce chapitre vous aura plu. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, je serai plus que ravie de lire vos commentaires.
Que pensez-vous de l'histoire jusqu'à présent ?
Des théories pour la suite du récit ?
Que pensez-vous des trois médecins ?
Avez-vous déjà un personnage préféré ?
♥ À bientôt pour la suite de cette aventure livresque. ♥
VOUS LISEZ
MédiCieux
Aktuelle LiteraturLe 26 Août 2005, alors que les éléments se déchaînent, des vies sont brisées et des destins se lient. Tandis que l'ouragan Katrina joue une partie d'échecs avec les Cieux, l'existence de trois médecins se retrouve mêlée à une adolescente étrange. Lo...